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DES DIFFAMATIONS.


se donna le plaisir de lui faire ouvrir le ventre pour lui rendre la taille plus légère ?

Il faut être imbécile pour croire d’Héliogabale tout ce que raconte Lampride. Selon lui, cet empereur se fait circoncire pour avoir plus de plaisir avec les femmes : quelle pitié ! Ensuite il se fait châtrer pour en avoir davantage avec les hommes. Il tue, il pille, il massacre, il empoisonne. Qui était cet Héliogabale ? Un enfant de treize à quatorze ans, que sa mère et sa grand’mère avaient fait nommer empereur, et sous le nom duquel ces deux intrigantes se disputaient l’autorité suprême. C’est ainsi cependant qu’on a écrit l’Histoire romaine depuis Tacite. Il en est une autre encore plus ridicule : c’est l’Histoire byzantine. Cet indigne recueil ne contient que des déclamations et des miracles : il est l’opprobre de l’esprit humain, comme l’empire grec était l’opprobre de la terre. Les Turcs du moins sont plus sensés : ils ont vaincu, ils ont joui, et ils ont très-peu écrit[1].


CHAPITRE XVI.
des diffamations.

Je me plais à citer l’auteur de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, parce que je vois qu’il aime la vérité, et qu’il l’annonce courageusement. Il a dit qu’avant que les livres fussent communs la réputation d’un prince dépendait d’un seul historien. Rien n’est plus vrai. Un Suétone ne pouvait rien sur les vivants ; mais il jugeait les morts, et personne ne se souciait d’appeler de ses jugements : au contraire, tout lecteur les confirmait, parce que tout lecteur est malin.

Il n’en est pas tout à fait de même aujourd’hui. Que la satire couvre d’opprobres un prince, cent échos répètent la calomnie, je l’avoue ; mais il se trouve toujours quelque voix qui s’élève contre les échos, et qui à la fin les fait taire : c’est ce qui est arrivé à la mémoire du duc d’Orléans, régent de France. Les Philippiques de La Grange, et vingt libelles secrets, lui imputaient les plus grands crimes[2] ; sa fille était traitée comme l’a été Messaline par Suétone. Qu’une femme ait deux ou trois amants, on lui en donne

  1. Je rétablis la dernière phrase de cet alinéa d’après l’édition qui fait partie du tome XIV de l’Évangile du jour. C’est sur la même autorité que j’ai mis dans le texte l’alinéa lui-même qui, dans toutes les autres éditions, est en note. (B.)
  2. Voyez tome XIV, page 478.