Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
CHAPITRE XV.


s’arrêter. C’est le défaut d’un jeune homme dont le goût est encore égaré. C’est dommage que ces vers ne soient pas faits pour une femme ; mais enfin il est évident qu’ils ne sont pas une satire de Néron. Ce sont les vers d’un jeune homme dissolu qui célèbre ses plaisirs infâmes.

De tous les morceaux de poésie répandus en foule dans cet ouvrage, il n’y en a pas un seul qui puisse avoir le plus léger rapport avec la cour de Néron. Ce sont tantôt des conseils pour former les jeunes avocats à l’éloquence de ce que nous appelons le barreau, tantôt des déclamations sur l’indigence des gens de lettres, des éloges de l’argent comptant, des regrets de n’en point avoir, des invocations à Priape, des images ou ampoulées ou lascives ; et tout le livre est un amas confus d’érudition et de débauches, tel que ceux que les anciens Romains appelaient Satura. Enfin c’est le comble de l’absurdité d’avoir pris, de siècle en siècle, cette satire pour l’histoire secrète de Néron ; mais, dès qu’un préjugé est établi, que de temps il faut pour le détruire !


CHAPITRE XV.
des contes absurdes intitulés « histoire » depuis tacite.

Dès qu’un empereur romain a été assassiné par les gardes prétoriennes, les corbeaux de la littérature fondent sur le cadavre de sa réputation. Ils ramassent tous les bruits de la ville, sans faire seulement réflexion que ces bruits sont presque toujours les mêmes. On dit d’abord que Caligula avait écrit sur ses tablettes les noms de ceux qu’il devait faire mourir incessamment, et que ceux qui, ayant vu ces tablettes, s’y trouvèrent eux-mêmes au nombre des proscrits le prévinrent, et le tuèrent.

Quoique ce soit une étrange folie d’écrire sur ses tablettes : Nota bene que je dois faire assassiner un tel jour tels et tels sénateurs, cependant il se pourrait à toute force que Caligula ait eu cette imprudence ; mais on en dit autant de Domitien, on en dit autant de Commode : la chose devient alors ridicule, et indigne de toute croyance.

Tout ce qu’on raconte de ce Commode est bien singulier. Comment imaginer que lorsqu’un citoyen romain voulait se défaire d’un ennemi, il donnait de l’argent à l’empereur, qui se chargeait de l’assassinat pour le prix convenu ? Comment croire que Commode, ayant vu passer un homme extrêmement gros,