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CHAPITRE XIV.


absurde et impertinent ne soit le jeune empereur Néron, qui, après tout, avait de l’esprit et des talents. Mais, en vérité, comment reconnaître cet empereur dans un sot qui fait continuellement les plus insipides jeux de mots avec son cuisinier ; qui se lève de table pour aller à la garde-robe ; qui revient à table pour dire qu’il est tourmenté de vents ; qui conseille à la compagnie de ne point se retenir ; qui assure que plusieurs personnes sont mortes pour n’avoir pas su se donner à propos la liberté du derrière, et qui confie à ses convives que sa grosse femme Fortunata fait si bien son devoir là-dessus qu’elle l’empêche de dormir la nuit ?

Cette maussade et dégoûtante Fortunata est, dit-on, la jeune et belle Acté, maîtresse de l’empereur. Il faut être bien impitoyablement commentateur pour trouver de pareilles ressemblances. Les convives sont, dit-on, les favoris de Néron. Voici quelle est la conversation de ces hommes de cour :

L’un d’eux dit à l’autre : « De quoi ris-tu, visage de brebis ? Fais-tu meilleure chère chez toi ? Si j’étais plus près de ce causeur, je lui aurais déjà donné un soufflet. Si je pissais seulement sur lui, il ne saurait où se cacher. Il rit : de quoi rit-il ? Je suis un homme libre comme les autres ; j’ai vingt bouches à nourrir par jour, sans compter mes chiens, et j’espère mourir de façon à ne rougir de rien quand je serai mort. Tu n’es qu’un morveux ; tu ne sais dire ni a ni b ; tu ressembles à un pot de terre, à un cuir mouillé, qui n’en est pas meilleur pour être plus souple. Es-tu plus riche que moi, dîne deux fois. »

Tout ce qui se dit dans ce fameux repas de Trimalcion est à peu près dans ce goût. Les plus bas gredins tiennent parmi nous des discours plus honnêtes dans leurs tavernes. C’est là pourtant ce qu’on a pris pour la galanterie de la cour des césars. Il n’y a point d’exemple d’un préjugé si grossier. Il vaudrait autant dire que le Portier des Chartreux[1] est un portrait délicat de la cour de Louis XIV.

Il y a des vers très-heureux dans cette satire, et quelques contes très-bien faits, surtout celui de la Matrone d’Éphèse. La satire de Pétrone est un mélange de bon et de mauvais, de moralités et d’ordures ; elle annonce la décadence du siècle qui suivit celui d’Auguste, On voit un jeune homme échappé des écoles pour fréquenter le barreau, et qui veut donner des règles et des exemples d’éloquence et de poésie.

  1. Sur cet ouvrage, voyez une des notes du Pauvre Diable, tome X.