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DES VILLES SACRÉES.


connu que d’un petit nombre de prêtres, auxquels il n’était permis de le prononcer que dans d’extrêmes dangers, de peur que ce nom, connu des ennemis, ne fût invoqué par eux, ou qu’ils ne l’employassent à quelque conjuration, ou qu’ils ne s’en servissent pour engager le dieu tutélaire à se déclarer contre la ville.

Macrobe nous dit que le secret fut si bien gardé chez les Romains que lui-même n’avait pu le découvrir. L’opinion qui lui parait la plus vraisemblable est que ce nom était Ops consivia[1] ; Angelo Poliziano prétend que ce nom était Amaryllis ; mais il en faut croire plutôt Macrobe qu’un étranger du xvie siècle.

Les Romains ne furent pas plus instruits du nom secret de Carthage que les Carthaginois de celui de Rome. On nous a seulement conservé l’évocation secrète prononcée par Scipion contre Carthage : « S’il est un dieu ou une déesse qui ait pris sous sa protection le peuple et la ville de Carthage, je vous vénère, je vous demande pardon, je vous prie de quitter Carthage, ses places, ses temples ; de leur laisser la crainte, la terreur, et le vertige, et de venir à Rome avec moi et les miens. Puissent nos temples, nos sacrifices, notre ville, notre peuple, nos soldats, vous être plus agréables que ceux de Carthage ! Si vous en usez ainsi, je vous promets des temples et des jeux. »

Le dévouement des villes ennemies était encore d’un usage très-ancien. Il ne fut point inconnu aux Romains. Ils dévouèrent, en Italie, Véies, Fidène, Gabie, et d’autres villes ; hors de l’Italie, Carthage et Corinthe ; ils dévouèrent même quelquefois des armées. On invoquait dans ces dévouements Jupiter, en élevant la main droite au ciel, et la déesse Tellus en posant la main à terre.

C’était l’empereur seul, c’est-à-dire le général d’armée ou le dictateur, qui faisait la cérémonie du dévouement ; il priait les dieux d’envoyer la fuite, la crainte, la terreur, etc. ; et il promettait d’immoler trois brebis noires.

Il semble que les Romains aient pris ces coutumes des anciens Étrusques, les Étrusques des Grecs, et les Grecs des Asiatiques. Il n’est pas étonnant qu’on en trouve tant de traces chez le peuple juif.

Outre la ville sacrée de Jérusalem, ils en avaient encore plusieurs autres, par exemple Lydda, parce qu’il y avait une école de rabbins. Samarie se regardait aussi comme une ville sainte. Les Grecs donnèrent aussi à plusieurs villes le nom de Sébastos, auguste, sacrée.

  1. Macrobe, liv. III, chap. IX. (Note de Voltaire.)