Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
248
CHAPITRE VI.


et Tyr, l’Égypte et l’Inde, appartenaient à la puissance qui avait ravagé la Grèce.


CHAPITRE VII.
usage qu’on peut faire d’hérodote.

[1]Hérodote eut le même mérite qu’Homère : il fut le premier historien, comme Homère le premier poëte épique, et tous deux saisirent les beautés propres d’un art qu’on croit inconnu avant eux. C’est un spectacle admirable dans Hérodote que cet empereur de l’Asie et de l’Afrique, qui fait passer son armée immense sur un pont de bateaux d’Asie en Europe ; qui prend la Thrace, la Macédoine, la Thessalie, l’Achaïe supérieure, et qui entre dans Athènes abandonnée et déserte. On ne s’attend point que les Athéniens, sans ville, sans territoire, réfugiés sur leurs vaisseaux avec quelques autres Grecs, mettront en fuite la nombreuse flotte du grand roi ; qu’ils rentreront chez eux en vainqueurs ; qu’ils forceront Xerxès à ramener ignominieusement les débris de son armée ; et qu’ensuite ils lui défendront, par un traité, de naviguer sur leurs mers. Cette supériorité d’un petit peuple généreux, libre, sur toute l’Asie esclave, est peut-être ce qu’il y a de plus glorieux chez les hommes. On apprend aussi par cet événement que les peuples de l’Occident ont toujours été meilleurs marins que les peuples asiatiques. Quand on lit l’histoire moderne, la victoire de Lépante fait souvenir de celle de Salamine, et on compare don Juan d’Autriche et Colonne à Thémistocle et à Eurybiade[2]. Voilà peut-être le seul fruit qu’on peut tirer de la connaissance de ces temps reculés[3].

Il est toujours bien hardi de vouloir pénétrer dans les desseins de Dieu ; mais cette témérité est mêlée d’un grand ridicule quand on veut prouver que le Dieu de tous les peuples de la

  1. Le commencement de ce chapitre avait déjà paru aussi au mot Histoire, dans l’Encyclopédie, en 1765, tome VIII.
  2. Au lieu d’Eurybiade, Renouard a mis Alcibiade, et a ajouté en note :

    « Plusieurs éditions portent Eurybiade ; mais l’auteur paraît avoir eu la simple volonté de faire ici mention de deux généraux d’un mérite différent, et non pas de faire, entre Eurybiade et Marc-Antoine Colonna, un rapprochement que n’autorise pas l’histoire. »

    Nous nous sommes conformé au texte de l’Encyclopédie et des éditions de Kehl.

  3. Dans l’Encyclopédie, en 1765, c’était immédiatement après cet alinéa que Voltaire parlait de Thucydide en ces mots : Thucydide, successeur d’Hérodote, etc. ; voyez ci-après, chap. VIII.