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CHAPITRE V.


venait se brûler tous les cinq cents ans dans le temple d’Hiéropolis[1] pour y renaître.

Les Égyptiens adoraient-ils en effet des bœufs, des boucs, des crocodiles, des singes, des chats, et jusqu’à des ognons ? Il suffit qu’on l’ait dit une fois pour que mille copistes l’aient redit en vers et en prose. Le premier qui fit tomber tant de nations en erreur sur les Égyptiens est Sanchoniathon, le plus ancien auteur que nous ayons parmi ceux dont les Grecs nous ont conservé des fragments. Il était voisin des Hébreux, et incontestablement plus ancien que Moïse, puisqu’il ne parle pas de ce Moïse, et qu’il aurait fait mention sans doute d’un si grand homme et de ses épouvantables prodiges s’il fût venu après lui, ou s’il avait été son contemporain.

Voici comme il s’exprime : « Ces choses sont écrites dans l’histoire du monde de Thaut et dans ses mémoires ; mais ces premiers hommes consacrèrent des plantes et des productions de la terre : ils leur attribuèrent la divinité ; ils révérèrent les choses qui les nourrissaient ; ils leur offrirent leur boire et leur manger, cette religion étant conforme à la faiblesse de leurs esprits. »

Il est très-remarquable que Sanchoniathon, qui vivait avant Moïse, cite les livres de Thaut, qui avaient huit cents ans d’antiquité ; mais il est plus remarquable encore que Sanchoniathon s’est trompé en disant que les Égyptiens adoraient des ognons : ils ne les adoraient certainement pas, puisqu’ils les mangeaient.

Cicéron, qui vivait dans le temps où César conquit l’Égypte, dit, dans son livre de la divination, « qu’il n’y a point de superstition que les hommes n’aient embrassée, mais qu’il n’est encore aucune nation qui se soit avisée de manger ses dieux[2] ».

De quoi se seraient nourris les Égyptiens, s’ils avaient adoré tous les bœufs et tous les ognons ? L’auteur de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[3] a dénoué le nœud de cette difficulté, en disant qu’il faut faire une grande différence entre un ognon consacré et un ognon dieu. Le bœuf Apis était consacré : mais les autres bœufs étaient mangés par les prêtres et par tout le peuple.

Une ville d’Égypte avait consacré un chat, pour remercier les dieux d’avoir fait naître des chats, qui mangent les souris. Diodore de Sicile rapporte que les Égyptiens égorgèrent de son temps un Romain qui avait eu le malheur de tuer un chat par mégarde.

  1. Héliopolis.
  2. Voyez la note, tome XI, page 67.
  3. Voyez tome XI. page 67.