Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
HOMÉLIE

Je réponds aux Juifs : Mes amis (car toutes les nations sont mes amis), Jésus fut plus que Juif ; il fut homme ; il embrassa tous les hommes dans sa charité. Votre loi mosaïque ne connaissait d’autre prochain pour un Juif qu’un autre Juif. Il ne vous était pas permis seulement de vous servir des ustensiles d’un étranger. Vous étiez immondes, si vous aviez fait cuire une longe de veau dans une marmite romaine. Vous ne pouviez vous servir d’une fourchette et d’une cuillère qui eût appartenu à un citoyen romain ; et, supposé que vous vous soyez jamais servis d’une fourchette à table, ce dont je ne trouve aucun exemple dans vos histoires, il fallait que cette fourchette fût juive. Il est bien vrai, du moins selon vous, que vous volâtes les assiettes, les fourchettes, et les cuillères des Égyptiens, quand vous vous enfuîtes d’Égypte comme des coquins ; mais votre loi ne vous avait pas encore été donnée. Dès que vous eûtes une loi, elle vous ordonna d’exterminer toutes les nations, et de ne réserver que les petites filles pour votre usage. Vous faisiez tomber les murs au bruit des trompettes ; vous faisiez arrêter le soleil et la lune ; mais c’était pour tout égorger. Voilà comme vous aimiez alors votre prochain.

Ce n’était pas ainsi que Jésus recommandait cet amour. Voyez la belle parabole du Samaritain[1]. Un Juif est volé et blessé par d’autres voleurs juifs. Il est laissé dans le chemin, dépouillé, sanglant, et demi-mort. Un prêtre orthodoxe passe, le considère, et poursuit sa route sans lui donner aucun secours. Un autre prêtre orthodoxe passe, et témoigne la même dureté. Vient un pauvre laïque samaritain, un hérétique : il panse les plaies du blessé ; il le fait transporter ; il le fait soigner à ses dépens. Les deux prêtres sont des barbares. Le laïque hérétique et charitable est l’homme de Dieu. Voilà la doctrine, voilà la morale de Jésus, voilà sa religion.

Nos adversaires nous disent que Luc, qui était un laïque, et qui a écrit le dernier de tous les évangélistes, est le seul qui ait rapporté cette parabole ; qu’aucun des autres n’en parle ; qu’au contraire, saint Matthieu dit que Jésus[2] recommanda expressément de ne rien enseigner aux Samaritains et aux Gentils ; qu’ainsi son amour pour le prochain ne s’étendait que sur la tribu de Juda, sur celle de Lévi, et la moitié de Benjamin, et qu’il n’aimait point le reste des hommes. S’il eût aimé son prochain, ajoutent-ils, il n’eût point dit qu’il est venu apporter le glaive et non la

  1. Luc, X, 30 et suiv.
  2. Matth., chap. X, vers. 5. (Note de Voltaire.)