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mains. L’évêque de Lipari fit vendre un jour, en 1711, une douzaine de litrons de pois verts à un grènetier. Le grènetier vendit ces pois au marché, et paya trois oboles pour le droit imposé sur les pois par le gouvernement. L’évêque prétendit que c’était un sacrilège, que ces pois lui appartenaient de droit divin, qu’ils ne devaient rien payer à un tribunal profane. Il est évident qu’il avait tort. Ces pois verts pouvaient être sacrés quand ils lui appartenaient : mais ils ne l’étaient pas après avoir été vendus. L’évêque soutint qu’ils avaient un caractère indélébile ; il fit tant de bruit, et il fut si bien secondé par ses chanoines, qu’on rendit au grènetier ses trois oboles.

Le gouvernement crut l’affaire apaisée ; mais l’évêque de Lipari était déjà parti pour Rome, après avoir excommunié le gouverneur de l’île et les jurats. Le tribunal de la monarchie leur donna l’absolution cum reincidentia ; c’est-à-dire qu’ils suspendirent la censure, selon le droit qu’ils en avaient.

La congrégation qu’on appelle à Rome de l’immunité envoya aussitôt une lettre circulaire à tous les évêques siciliens, laquelle déclarait que l’attentat du tribunal de la monarchie était encore plus sacrilège que celui d’avoir fait payer trois oboles pour des pois qui venaient originairement du potager d’un évêque. Un évêque de Catane publia cette déclaration. Le vice-roi, avec le tribunal de la monarchie, la cassa, comme attentatoire à l’autorité royale. L’évêque de Catane excommunia un baron Figuerazzi et deux autres officiers du tribunal.

Le vice-roi, indigné, envoya par deux gentilshommes un ordre à l’évêque de Catane de sortir du royaume. L’évêque excommunia les deux gentilshommes, mit son diocèse en interdit, et partit pour Rome. On saisit une partie de ses biens. L’évêque d’Agrigente fit ce qu’il put pour s’attirer un pareil ordre ; on le lui donna. Il fit bien mieux que l’évêque de Catane ; il excommunia le vice-roi, le tribunal, et toute la monarchie.

Ces pauvretés, qu’on ne peut lire aujourd’hui sans lever les épaules, devinrent une affaire très-sérieuse. Cet évêque d’Agrigente avait trois vicaires encore plus excommuniants que lui : ils furent mis en prison. Toutes les dévotes prirent leur parti ; la Sicile était en combustion.

Lorsque Victor-Amédée, à qui Philippe V venait de céder cette île, en prit possession, le 10 octobre 1713, à peine le nouveau roi était arrivé que le pape Clément XI expédia trois brefs à l’archevêque de Palerme par lesquels il lui était ordonné d’excommunier tout le royaume, sous peine d’être excommunié lui-