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le pape prisonnier ; mais, pour empêcher désormais les empereurs et les papes de venir les troubler dans leurs possessions, ils offrirent leurs conquêtes à l’Église sous le nom d’oblata. C’est ainsi que l’Angleterre avait payé le denier de Saint-Pierre ; c’est ainsi que les premiers rois d’Espagne et de Portugal, en recouvrant leurs États contre les Sarrasins, promirent à l’Église de Rome deux livres d’or par an ; ni l’Angleterre, ni l’Espagne, ni le Portugal, ne regardèrent jamais le pape comme leur seigneur suzerain.

Le duc Robert, oblat de l’Église, ne fut pas non plus feudataire du pape ; il ne pouvait pas l’être, puisque les papes n’étaient pas souverains de Rome. Cette ville alors était gouvernée par son sénat : l’évêque n’avait que du crédit ; le pape était à Rome précisément ce que l’électeur est à Cologne. Il y a une différence prodigieuse entre être oblat d’un saint, et être feudataire d’un évêque.

Baronius, dans ses Actes, rapporte l’hommage prétendu fait par Robert, duc de la Pouille et de la Calabre, à Nicolas II ; mais cette pièce est fausse, on ne l’a jamais vue, elle n’a jamais été dans aucune archive. Robert s’intitula duc par la grâce de Dieu et de saint Pierre ; mais certainement saint Pierre ne lui avait rien donné, et n’était point roi de Rome. Si l’on voulait remonter plus haut, on prouverait invinciblement, non-seulement que saint Pierre n’a jamais été évêque de Rome, dans un temps où il est avéré qu’aucun prêtre n’avait de siège particulier, et où la discipline de l’Église naissante n’était pas encore formée ; mais que saint Pierre n’a pas plus été à Rome qu’à Pékin. Saint Paul déclare expressément que sa mission était « pour les prépuces entiers, et que la mission de saint Pierre était pour les prépuces coupés[1] » ; c’est-à-dire que saint Pierre, né en Galilée, ne devait prêcher que les Juifs, et que lui Paul, né à Tarsus, dans la Caramanie, devait prêcher les étrangers.

La fable qui dit que Pierre vint à Rome sous le règne de Néron, et y siégea pendant vingt-cinq ans, est une des plus absurdes qu’on ait jamais inventées, puisque Néron ne régna que treize ans. La supposition qu’on a osé faire qu’une lettre de saint Pierre, datée de Babylone, avait été écrite dans Rome, et que Rome est là pour Babylone, est une supposition si impertinente qu’on ne peut en parler sans rire[2]. On demande à tout lecteur sensé ce que c’est qu’un droit fondé sur des impostures si avérées.

  1. Épitre aux Galates, chap. ii. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XXVI, page 545 : et, ci-dessus, page 44.