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la Sabine, de l’Ombrie, de l’Émilie, de Ferrare, de Ravenne, de la Pentapole, du Bolonais, de Comacchio, de Bénévent, d’Avignon ? On ne voit pas que l’Évangile ait donné ces terres au pape, à moins que l’Évangile ne ressemble à la règle des théatins, dans laquelle il fut dit qu’ils seraient vêtus de blanc, et on mit en marge : c’est-à-dire de noir.

Cette grandeur des papes, et leurs prétentions mille fois plus étendues, ne sont pas plus conformes à la politique et à la raison qu’à la parole de Dieu, puisqu’elles ont bouleversé l’Europe et fait couler des flots de sang pendant sept cents années.

La politique et la raison exigent, dans l’univers entier, que chacun jouisse de son bien, et que tout État soit indépendant. Voyons comment ces deux lois naturelles, contre lesquelles il ne peut être de prescription, ont été observées.

ii. — de naples[1].

Les gentilshommes normands[2], qui furent les premiers instruments de la conquête de Naples et de Sicile, firent le plus bel exploit de chevalerie dont on ait jamais entendu parler. Quarante à cinquante hommes seulement délivrent Salerne au moment qu’elle est prise par une armée de Sarrasins. Sept autres gentilshommes normands, tous frères, suffisent pour chasser ces mêmes Sarrasins de toute la contrée, et pour l’ôter à l’empereur grec, qui les avait payés d’ingratitude. Il est bien naturel que les peuples, dont ces héros avaient ranimé la valeur, s’accoutumassent à leur obéir par admiration et par reconnaissance.

Voilà les premiers droits à la couronne des Deux-Siciles. Les évêques de Rome ne pouvaient pas plus donner ces États en fief que le royaume de Boutan ou de Cachemire. Ils ne pouvaient même en accorder l’investiture quand on la leur aurait demandée : car dans le temps de l’anarchie des fiefs, quand un seigneur voulait tenir son bien allodial en fief pour avoir une protection, il ne pouvait s’adresser qu’à son seigneur suzerain. Or, certainement le pape n’était pas seigneur suzerain de Naples, de la Pouille et de la Calabre.

On a beaucoup écrit sur cette vassalité prétendue ; mais on n’a jamais remonté à la source. J’ose dire que c’est le défaut de

  1. Presque tout ce paragraphe a été reproduit par Voltaire, en 1771, dans ses Questions sur l’Encyclopédie, au mot Donations ; voyez tome XVIII, page 418.
  2. Voyez tome XI, page 355.