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demeurent dans les îles de l’Océan, dont les dernières sont vers le 60e degré ? C’est qu’ils ont pris Gibraltar. Pourquoi le gardent-ils ? C’est qu’on n’a pu le leur ôter ; et alors on est convenu qu’il leur resterait : la force et la convention donnent l’empire.

De quel droit Charlemagne, né dans le pays barbare des Austrasiens, dépouilla-t-il son beau-père, le Lombard Didier, roi d’Italie, après avoir dépouillé ses propres neveux de leur héritage ? Du droit que les Lombards avaient exercé en venant des bords de la mer Baltique saccager l’empire romain, et du droit que les Romains avaient eu de ravager tous les autres pays l’un après l’autre. Dans le vol à main armée, c’est le plus fort qui l’emporte ; dans les acquisitions convenues, c’est le plus habile.

Pour gouverner de droit ses frères, les hommes (et quels frères ! quels faux frères !) que faut-il ? Le consentement libre des peuples.

Charlemagne vient à Rome, vers l’an 800, après avoir tout préparé, tout concerté avec l’évêque, et faisant marcher son armée, et sa cassette dans laquelle étaient les présents destinés à ce prêtre. Le peuple romain nomme Charlemagne son maître, par reconnaissance de l’avoir délivré de l’oppression lombarde.

À la bonne heure que le sénat et le peuple aient dit à Charles : « Nous vous remercions du bien que vous nous avez fait ; nous ne voulons plus obéir à des empereurs imbéciles et méchants qui ne nous défendent pas, qui n’entendent pas notre langue, qui nous envoient leurs ordres en grec par des eunuques de Constantinople, et qui prennent notre argent ; gouvernez-nous mieux, en conservant toutes nos prérogatives, et nous vous obéirons. »

Voilà un beau droit, sans doute, et le plus légitime.

Mais ce pauvre peuple ne pouvait assurément disposer de l’empire : il ne l’avait pas ; il ne pouvait disposer que de sa personne. Quelle province de l’empire aurait-il pu donner : l’Espagne ? elle était aux Arabes ; la Gaule et l’Allemagne ? Pépin, père de Charlemagne, les avait usurpées sur son maître ; l’Italie citérieure ? Charles l’avait volée à son beau-père. Les empereurs grecs possédaient tout le reste ; le peuple ne conférait donc qu’un nom : ce nom était devenu sacré. Les nations, depuis l’Euphrate jusqu’à l’Océan, s’étaient accoutumées à regarder le brigandage du saint empire romain comme un droit naturel ; et la cour de Constantinople regarda toujours les démembrements de ce saint empire comme une violation manifeste du droit des gens, jusqu’à ce qu’enfin les Turcs vinrent leur apprendre un autre code.

Mais dire, avec les avocats mercenaires de la cour pontificale