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Il y a des vices d’administration qui sont plus contagieux que la peste, et qui portent nécessairement la désolation d’un bout de l’Europe à l’autre. Un prince veut faire la guerre ; et, croyant que Dieu est toujours pour les gros bataillons, il double le nombre de ses troupes : le voilà d’abord ruiné dans l’espérance d’être vainqueur ; cette ruine, qui était auparavant la suite de la guerre, commence chez lui avant le premier coup de canon. Son voisin en fait autant pour lui résister ; chaque prince, de proche en proche, double aussi ses armées; les campagnes sont donc ravagées du double ; le cultivateur, doublement foulé, a nécessairement la moitié moins de bestiaux pour engraisser ses terres, la moitié moins de manœuvres pour l’aider à les cultiver. Ainsi tout le monde souffre à peu près également, quand même les avantages seraient égaux de chaque côté.

Les lois qui concernent la justice distributive ont été souvent aussi mal conçues que les ressources d’une administration obérée. Les hommes ayant tous les mêmes passions, le même amour pour la liberté, chaque homme étant à peu près un composé d’orgueil, de cupidité, et d’intérêt, d’un grand goût pour une vie douce, et d’une inquiétude qui exige une vie active, ne devraient-ils pas avoir les mêmes lois, comme dans un hôpital on fait prendre le même quinquina à tous ceux qui ont la fièvre tierce ?

On répond à cela que, dans un hôpital bien policé, chaque maladie a son traitement particulier ; mais c’est ce qui n’arrive pas dans nos gouvernements : tous les peuples sont malades en morale, et il n’y a pas deux régimes qui se ressemblent.

Les lois de toute espèce, qui sont la médecine des âmes, ont donc été composées presque partout par des charlatans qui ont donné des palliatifs, et quelques-uns même ont prescrit des poisons.

Si la maladie est la même dans le monde entier, si un Basque a tout autant de cupidité qu’un Chinois, il est évident qu’il faut un régime uniforme pour le Chinois et pour le Basque. La difference du climat n’a ici aucune influence. Ce qui est juste à Bilbao doit être juste à Pékin, par la raison qu’un triangle rectangle est la moitié de son carré sur le rivage atlantique comme sur le rivage indien. La vérité est une, toutes les lois diffèrent : donc la plupart des lois ne valent rien.

Un jurisconsulte un peu philosophe me dira: Les lois sont comme les règles du jeu, chaque nation joue aux échecs différemment. Chez les unes le roi peut faire deux pas ; chez d’au-