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188 CHAPITRE XXXVIII.

villes, de villages, et de moissons. Le bois commence à manquer de nos jours presque partout : notre Europe est si peuplée qu'il est impossible que cbacun ait du pain blanc, et mange quatre livres de viande par mois. Voilà où nous en sommes : avons-nous trop de monde? M'en avons-nous pas assez?

Au reste, ne négligeons jamais l'occasion de remarquer l'épou- vantable ridicule de ceux qui donnent à chaque enfant de Noé des centaines de milliards de descendants au bout de quelques années.

Un célèbre Écossais, M. Tcmpleman, a calculé que si toute la terre habitée était peuplée comme la Hollande, elle contien- drait 3/i,720 millions d'hommes ; si comme la Russie, 435 millions seulement. L'auteur de VEssai sur les Mœurs et l'Esprit des nations assigne autour de 900 millions de têtes au genre humaine Je crois qu'il ne s'éloigne pas beaucoup delà vérité. Quand on ne se trompe que d'un million dans de tels calculs, le mal n'est pas grand. Je ne sais si la terre manque d'hommes, mais certaine- ment elle manque d'hommes heureux.

��CHAPITRE XXXVIII.

IGNORANCES STIPIDES ET MÉPRISES FUNESTES.

Quoique les physiciens paraissent condamnés à une ignorance éternelle sur les principes des choses, cependant la distance est prodigieuse entre eux et le vulgaire. Quelle différence, par exemple, des connaissances d'un grand artiste en horlogerie, et d'une dame qui achète sa montre ! Elle ne s'informe pas seule- ment de l'art qui a divisé également les heures du jour. Il y a cent mille âmes dans Paris qui, en soufflant le feu de leurs che- minées, n'ont jamais seulement pensé à la mécanique par laquelle l'air, entrant dans leur soufflet, ferme ensuite la soupape qui lui est attachée. Les dames, les princesses, les reines, passent une partie du matin à leur miroir, sans imaginer qu'il y a des traits de lumière qui forment un angle d'incidence égal à l'angle de réflexion. On mange tous les jours des membres, des entrailles d'animaux, en n'ayant pas même la curiosité de savoir ce qu'on mange. Le nombre est très-petit de ceux qui cherchent à s'in- struire des ressorts de leur corps et de leur pensée. De là vient qu'ils mettent souvent l'un et l'autre entre les mains des charlatans.

1. Voyez tome XX, page 247; et aussi XXIV, 582.

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