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Lucrèce avait assurément raison en ce point de physique, quelque ignorant qu’il fût d’ailleurs. Et il est démontré aujourd’hui aux yeux et à la raison qu’il n’est ni de végétal ni d’animal qui n’ait son germe. On le trouve dans l’œuf d’une poule comme dans le gland d’un chêne. Une puissance formatrice préside à tous ces développements d’un bout de l’univers à l’autre.

Il faut bien reconnaître des germes, puisqu’on les voit et qu’on les sème, et que le chêne est en petit contenu dans le gland. On sait bien que ce n’est pas un chêne de soixante pieds de haut qui est dans ce fruit ; mais c’est un embryon qui croîtra par le secours de la terre et de l’eau, comme un enfant croît par une autre nourriture.

Nier l’existence de cet embryon, parce qu’on ne conçoit pas comment il en contient d’autres à l’infini, c’est nier l’existence de la matière, parce qu’elle est divisible à l'infini. Je ne le comprends pas, donc cela n’est pas. Ce raisonnement ne peut être admis contre les choses que nous voyons et que nous touchons. Il est excellent contre des suppositions, mais non pas contre les faits[1].

Quelque système qu’on substitue, il sera tout aussi inconcevable, et il aura, par-dessus celui des germes, le malheur d’être fondé sur un principe qu’on ne connaît pas, à la place d’un principe palpable dont tout le monde est témoin. Tous les systèmes sur la cause de la génération, de la végétation, de la nutrition, de la sensibilité, de la pensée, sont également inexplicables[2]. Monades, qui étiez le miroir concentré de l’univers ; harmonie préétablie entre l'horloge de l'ame et l'horloge du corps ; idées innées, tantôt condamnées, tantôt adoptées par une Sorbonne; sensorium commune, qui n’êtes nulle part; détermination du moment où l’esprit vient animer la matière, retournez au pays des chimères avec le Targum, le Talmud, la Mishna, la Cabale, la Chiromancie, les Éléments de Descartes et les Contes nouveaux. Sommes-nous à jamais condamnés à nous ignorer ? Oui.

  1. Il est curieux de voir cette question des générations spontanées agitée par Voltaire. Les raisons sur lesquelles il appuie son opinion ont cela de remarquable qu’elles sont simplement philosophiques. Les savants qui ont, dans ces dernières années, débattu ces doctrines auraient eu peu de succès avec de telles raisons. On remarquera que c’est un prêtre, Needham, qui émit le premier cette théorie. (D.)
  2. Cette phrase, jusqu’au mot nouveaux, est ajoutée d’après un manuscrit. (B.)