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que ce n’est presque jamais ni sur la croupe ni dans les flancs de cette continuité de montagnes dont la surface du globe est traversée; c’est à quelques lieues de ces grands corps, c’est au milieu des terres, c’est dans des cavernes, dans des lieux où il est très-vraisemblable qu’il y avait de petits lacs qui ont disparu, de petites rivières dont le cours est changé, des ruisseaux considérables dont la source est tarie. Vous y voyez des débris de tortues, d’écrevisses, de moules, de colimaçons, de petits crustacés de rivière, de petites huîtres semblables à celles de Lorraine ; mais de véritables corps marins, c’est ce quevous ne voyez jamais. S’il y en avait, pourquoi n’aurait-on jamais vu d’os de chiens marins, de requins, de baleines ?

Vous prétendez que la mer a laissé dans nos terres des marques d’un très-long séjour. Le monument le plus sûr serait assurément quelques amas de marsouins au milieu de l’Allemagne, car vous en voyez dos milliers se jouer sur la surface de la mer Germanique dans un temps serein. Quand vous les aurez découverts et que je les aurai vus à Nuremberg et à Francfort, je vous croirai ; mais, en attendant, permettez -moi de ranger la plupart de ces suppositions avec celle du vaisseau pétrifié trouvé dans le canton de Berne à cent pieds sous terre, tandis qu’une de ses ancres était sur le mont Saint-Bernard,

J’ai vu quelquefois des débris de moules et de colimaçons qu’on prenait pour des coquilles de mer.

Si on songeait seulement que, dans une année pluvieuse, il y a plus de limaçons dans dix lieues de pays que d’hommes sur la terre S on pourrait se dispenser de chercher ailleurs l’origine de ces fragments de coquillages dont les bords du Bhône et ceux d’autres rivières sont tapissés dans l’espace de plusieurs milles. Il y a beaucoup de ces limaçons dont le diamètre est de plus d’un pouce. Leur multitude détruit quelquefois les vignes et les arbres fruitiers. Les fragments de leurs coques endurcies sont partout. Pourquoi donc imaginer que des coquillages des Indes sont venus s’amonceler dans nos climats quand nous en avons chez nous par millions ? Tous ces petits fragments de coquilles, dont on a fait tant de bruit pour accréditer un système, sont pour la plupart si informes, si usés, si méconnaissables, qu’on pourrait également parier que ce sont des débris d’écrevisses ou de crocodiles, ou des ongles d’autres animaux. Si on trouve une coquille bien conservée dans le cabinet d’un curieux, on ne sait d’où elle

1 Voici une assertion plus que hasardée. (D.)