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DES COQUILLES.

La mer, ayant inondé ainsi successivement la terre, a formé les montagnes par ses courants, par ses marées, et quoique son flux ne s’élève qu’à la hauteur de 15 pieds dans ses plus grandes intumescences sur nos côtes, elle a produit des roches hautes de 18,000 pieds.

Si la mer a été partout, il y a eu un temps où le monde n’était peuplé que de poissons. Peu à peu les nageoires sont devenues des bras ; la queue fourchue, s’étant allongée, a formé des cuisses et des jambes ; enfin les poissons sont devenus des hommes, et tout cela s’est fait en conséquence des coquilles qu’on a déterrées. Ces systèmes valent bien l’horreur du vide, les formes substantielles, la matière globuleuse, subtile, cannelée, striée, la négation de l’existence des corps, la baguette divinatoire de Jacques Aimard, l’harmonie préétablie, et le mouvement perpétuel.

Il y a, dit-on, des débris immenses de coquilles auprès de Mastricht. Je ne m’y oppose pas, quoique je n’y en aie vu qu’une très-petite quantité. La mer a fait d’horribles ravages dans ces quartiers-là : elle a englouti la moitié de la Frise ; elle a couvert des terrains autrefois fertiles, elle en a abandonné d’autres. C’est une vérité reconnue, personne ne conteste les changements arrivés sur la surface du globe dans une longue suite de siècles. Il se peut physiquement, et sans oser contredire nos livres sacrés, qu’un tremblement de terre ait fait disparaître l’île Atlantide neuf mille ans avant Platon, comme il le rapporte, quoique ses Mémoires ne soient pas sûrs. Mais tout cela ne prouve pas que la mer ait produit le mont Caucase, les Pyrénées et les Alpes.

On prétend qu’il y a des fragments de coquillages à Montmartre, et à Courtagnon auprès de Reims. On en rencontre presque partout, mais non pas sur la cime des montagnes, comme le suppose le système de Maillet.

Il n’y en a pas une seule sur la chaîne des hautes montagnes, depuis la Sierra-Morena jusqu’à la dernière cime de l’Apennin. J’en ai fait chercher sur le mont Saint-Gothard, sur le Saint-Bernard, dans les montagnes de la Tarentaise : on n’en a pas découvert.

Un seul physicien m’a écrit qu’il a trouvé une écaille d’huître pétrifiée vers le mont Cenis. Je dois le croire, et je suis très-étonné qu’on n’y en ait pas vu des centaines. Les lacs voisins nourrissent de grosses moules dont l’écaille ressemble parfaitement aux huîtres ; on les appelle même petites huîtres dans plus d’un canton.

Est-ce d’ailleurs une idée tout à fait romanesque de faire réflexion sur la foule innombrable de pèlerins qui partaient à pied de Saint-Jacques en Galice, et de toutes les provinces, pour aller

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