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130 CHAPITRE III.

(le mes yeux et de mes lumières; mais je nai jamais pu apercevoir Jusqu'à présent dans ces polypes que des espèces de petits joncs très-fins qui semblent tenir de la nature dessensitives. L'héliotrope ou la fleur au soleil, qui souvent se tourne d'elle-même du côté de cet astre, a pu paraître d'abord un phénomène aussi extraor- dinaire que celui des polypes. La mimose des Indes, qui semble imiter le mouvement des animaux, n'est pourtant point dans le genre animal. La petite progression très-lente et très-faible qu'on remarque dans les polypes nageant dans un gobelet d'eau n'ap- proche pas de la progression beaucoup plus rapide et plus visible des petites pierres plates qui descendent des bords d'un plat dans le milieu, quand ce plat est rempli de vinaigre. Les bras du po- lype pourraient bien n'être que des ramifications; ses têtes, de simples boutons; son estomac, des fibres creuses; ses mouvements, des ondulations de ces fibres. Les petits insectes que cette plante semble quelquefois avaler peuvent entrer dans sa substance pour s'y nourrir et y périr, aussi bien qu'être attirés par cette substance pour être mangés par elle. Le polype subsiste très-bien sans que ces petits insectes tombent dans ses fibres; il n'a donc pas besoin d'aliments : on peut donc croire qu'il n'est qu'une plante. Ce qu'on a pris pour ses œufs peut n'être que de la graine. Sa reproduction par bouture paraît indiquer que c'est une simple plante. Enfin il jette des rameaux quand on l'a retourné comme on retourne un gant : certainement la nature ne l'a pas fait pour être ainsi retourné par nos mains; et il n'y a rien là qui sente l'animalité.

Feu M. du Faï avait sur sa cheminée une belle garniture de polypes de la grande espèce dans des vases. Ses parents et moi nous regardions de tous nos yeux, et nous lui disions que nous ressemblions à Sancho Pança, qui ne voyait que des moulins à vent où son maître voyait des géants armés. Notre incrédulité ne doit pourtant pas dépouiller ces polypes de la dignité d'animaux. Des expériences frappantes déposent pour eux. Je ne prétends pas leur ra^ ir leurs titres; mais ont-ils la sensibilité et la perception qui distinguent le règne animal du végétal? Reconnaissons-nous pour nos confrères des êtres qui n'ont pas avec nous la moindre ressemblance? Certainement le flûteur de M, Vaucanson a plus l'air d'un homme qu'un polype n'a l'air d'un animal. Peut-être devrait-on n'accorder la qualité d'animal qu'aux êtres qui feraient toutes les fonctions de la vie, qui manifesteraient du sentiment, des désirs, des volontés, et des idées.

Il est bon de douter encore, jusqu'à ce qu'un nombre suffisant d'expériences réitérées nous aient convaincus que ces plantes

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