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DE LA NATURE. 127

M'apprendra-t-on jamais par quels subtils ressorts^ L'éternel Artisan fait végéter les corps? Pourquoi l'aspic affreux, le tigre, la panthère, N'ont jamais dépouillé ^ leur cruel caractère; Et que, reconnaissant la main qui le nourrit, Le chien meurt en léchant le maître qu'il chérit ? D'où vient qu'avec cent pieds, qui semblent inutiles, Cet insecte tremblant traîne ses pas débiles? Pourquoi ce ver changeant se bâtit un tombeau, S'enterre, et ressuscite avec un corps nouveau, Et, le front couronné, tout brillant d'étincelles, S'élance dans les airs en déployant ses ailes? Le sage du Faï^, parmi ces plants divers, Végétaux rassemblés des bouts de l'univers, Me dira-t-il pourquoi la tendre sensitive Se flétrit sous nos mains, honteuse et fugitive;

��Demandez à Silva par quel secret mystère

Ce pain, cet aliment, dans mon corps digéré,

Se transforme en un lait doucement préparé;

Comment, toujours filtré dans ses routes certaines,

En longs ruisseaux de pourpre il court enfler mes veines,

A mon corps languissant rend un pouvoir nouveau,

Fait palpiter mon cœur et penser mon cerveau ?

11 lève au ciel les yeux, il s'incline, il s'écrie :

« Demandez-le à ce Dieu qui nous donna la vie. »

Ce n'est point là ce qu'on appelle la raison paresseuse; c'est la raison éclairée et soumise, qui sait qu'un être cliétif ne peut pé- nétrer l'infini. Un fétu suffit pour nous démontrer notre impuis- sance. Il nous est donné de mesurer, calculer, peser, et faire des expériences; mais souvenons-nous toujours que le sage Hippo- crate commença ses Aphorism.es par dire que l'expérience est trom- peuse; et qu'Aristote commença sa métaphysique par ces mots : Qui cherche à s'instruire doit savoir douter.

Pour voir de quels effets étonnants la nature est capable, exa- minons quelques-unes de ses productions qui sont sous nos mains, et cherchons (en doutant) quels résultats évidents nous en pourrions former.

��1. Ces vers sont de Voltaire lui-même, dans son Quatrième Discours sur VHomme: voyez tome IX, page 401.

2. On lit adouci au lieu de dépouillé, dans le Quatrième Discours sur l'Homme.

3. Directeur du Jardin et du Cabinet d'histoire naturelle du roi.

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