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À ANTOINE-JACQUES RUSTAN.

L’hébreu s’exprime ainsi à la vérité ; le Seigneur dit (Osée, chap. I) : « Prenez une femme de fornication, et faites-lui des fils de fornication ; filios fornicationum, » selon la Vulgate. Vous avez traduit ces mots par fils de putain : cela est trop grossier, et vous deviez dire enfants de la débauche, enfants du crime.

Ensuite, lorsqu’au chapitre III le Seigneur lui ordonne encore de prendre une femme adultère, et que le prophète dit : « Fodi eam pro quindecim argenteis et coro hordei ; je la caressai pour quinze drachmes et un setier d’orge ; » vous rendez ce mot fodi par le terme déshonnête qui lui répond : gardez-vous de jamais tomber dans ces indécences.

Le commentaire sur le Nouveau Testament, auquel vous travaillez, a d’autres inconvénients. Cette entreprise est d’une extrême difficulté : elle exige bien plus de connaissances qu’on ne croit ; celles même des Simon, des Fabricius, des Cotellier, des Cave, des Greave, et des Grabe, ne suffisent pas. Il faut comparer tout ce qui peut nous rester des cinquante Évangiles négligés ou rejetés avec les quatre reçus. Il est très-difficile de décider lesquels furent écrits les premiers. Une connaissance approfondie du Talmud est absolument nécessaire ; on y rencontre quelques traits de lumière, mais ils disparaissent bientôt, et la nuit redouble. Les Juifs ne donnent point à Marie le même époux que lui donnent les Évangiles ; ils ne font point naître Jésus sous Hérode ; l’arrivée des mages, leur étoile, le massacre des innocents, ne se lisent dans aucun auteur juif, pas même chez Flavius Josèphe, parent de Mariamne, femme d’Hérode ; le Sépher Toldos Jeschut[1] est trop rempli de fables absurdes pour qu’on y puisse bien discerner le peu de vérités historiques qu’il peut contenir.

Dans nos Évangiles il se trouve malheureusement des contradictions qu’il semble impossible à l’esprit humain de concilier : telles sont les deux généalogies de Jésus, l’une par Matthieu, et l’autre par Luc[2]. Personne n’a jamais pu jusqu’à présent trouver un fil pour sortir de ce labyrinthe, et Pascal a été réduit à dire seulement : Cela ne s’est pas fait de concert[3]. Non, sans doute, ils ne se sont pas concertés ; mais il faut voir comment on peut les rapprocher.

Le commencement de Luc n’est pas moins embarrassant ; il est constant qu’il n’y eut qu’un seul dénombrement des citoyens

  1. Voyez tome XX, page 71 ; XXVI, 222.
  2. Voyez tome XIX, page 217.
  3. Voyez tome XXII, page 39.