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INSTRUCTIONS

Quand vous réfuterez ces auteurs, gardez-vous de falsifier les saintes Écritures ; ne défendez pas la vérité par le mensonge : on vous reproche assez d’avoir corrompu le texte en disant dans votre libelle que lorsque le Seigneur, sur le bord du fleuve Chobar, commanda à Ézéchiel de manger un livre de parchemin, et de se coucher pendant trois cent quatre vingt et dix jours sur le côté gauche[1] et pendant quarante sur le côté droit, il « lui ordonna aussi de se faire du pain de plusieurs sortes de graines, et de se servir, pour le cuire, de bouse de vache ». Lisez la Vulgate, vous y trouverez ces propres mots : « Comedes illud[2], et stercore quod egreditur de homine operies illud in oculis eorum. Tu mangeras ce pain, et tu le couvriras de l’excrément qui sort du corps de l’homme. » Couvrir son pain avec cet excrément n’est pas cuire son pain avec cet excrément. Le Seigneur se laisse ensuite toucher aux prières du prophète ; il lui dit : Je te donne de la fiente de bœuf au lieu de fiente d’homme.

Pourquoi donc avoir falsifié le texte ? Pourquoi nous exposez-vous aux plaintes amères des incrédules, c’est-à-dire de ceux qui ne sont pas crédules, et qui ne vous en croiront pas sur votre parole ?

Nous n’approuvons pas la simplicité de ceux qui traduisent stercore par de la merde : c’est le mot propre, disent-ils ; oui, mais la bienséance et l’honnêteté sont préférables au mot propre, quand la fidélité de la traduction n’en est point altérée.

On prétend que vous avez traduit aussi infidèlement tout ce qui regarde les deux sœurs Oolla et Ooliba dans le même Ézéchiel, aux chapitres xvi et xxiii. Le texte porte : « Ubera tua intumuerunt, pilus tuiis germinavit : vos tétons ont grossi, votre poil a pointé ; ædificavisti tibi lupanar : vous vous êtes bâti un b….. ; divisisti pedes omni transeunti : vous avez ouvert vos cuisses à tous les passants ; Oolla insanivit libidine super concubitum eorum quorum carnes sunt ut carnes asinorum, et sicut fluxus equorum fluxus eorum : Oolla s’est abandonnée passionnément au coït de ceux qui ont des membres d’âne, et dont la semence est comme la semence des chevaux. » Vous pourriez certainement adoucir les mots sans gâter la pureté du texte ; la langue hébraïque se permettait des expressions que la française réprouve.

Ainsi nous ne voudrions point que vous traduisissiez les révélations du prophète Osée selon la lettre, mais selon l’esprit.

  1. Ézéchiel, iv, 5.
  2. Ézéchiel, iv, 12}}.