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À ANTOINE-JACQUES RUSTAN.

cardeur de laine Leclerc, qui le premier établit le calvinisme en France, et qui fut martyrisé ; Fox, le patriarche des quakers, qui était un paysan ; Jean de Leyde, tailleur, qui fut roi des anabaptistes ; et vingt exemples semblables. Voilà, dit-il, comme les sectes s’établissent. Il faut réfuter milord Bolingbroke.

Le prince respectable[1] qui a fait le Sermon des cinquante, réimprimé six fois dans le Recueil nécessaire, s’exprime ainsi : « La secte de ce Jésus subsiste cachée ; le fanatisme s’augmente ; on n’ose pas d’abord faire de cet homme un dieu, mais bientôt on s’encourage. Je ne sais quelle métaphysique de Platon s’amalgame avec la secte nazaréenne. On fait de Jésus le logos, le Verbe-Dieu, puis consubstantiel à Dieu, son père. On imagine la Trinité, et pour la faire croire on falsifie les premiers Évangiles.

« On ajoute un passage touchant cette Trinité, de même qu’on falsifie l’historien Josèphe pour lui faire dire un mot de Jésus, quoique Josèphe soit un historien trop grave pour avoir fait mention d’un tel homme. On va jusqu’à forger des vers des sibylles ; on suppose des Canons des apôtres, des Constitutions des apôtres, un Symbole des apôtres, un voyage de Simon Pierre à Rome, un assaut de miracles entre ce Simon et un autre Simon prétendu magicien. En un mot, point d’artifices, de fraudes, d’impostures, que les Nazaréens ne mettent en œuvre : et après cela on vient nous dire tranquillement que les apôtres prétendus n’ont pu être ni trompés ni trompeurs, et qu’il faut croire à des témoins qui se sont fait égorger pour soutenir leurs dépositions.

Ô malheureux trompeurs et trompés qui parlez ainsi ! quelle preuve avez-vous que ces apôtres ont écrit ce qu’on met sous leur nom ? Si on a pu supposer des canons, n’a-t-on pas pu supposer des évangiles ? n’en reconnaissez-vous pas vous-mêmes de supposés ? Qui vous a dit que les apôtres sont morts pour soutenir leur témoignage ? Il n’y a pas un seul historien contemporain qui ait seulement parlé de Jésus et de ses apôtres. Avouez que vous soutenez des mensonges par des mensonges ; avouez que la fureur de dominer sur les esprits, le fanatisme et le temps, ont élevé cet édifice qui croule aujourd’hui de tous côtés : masure que la raison déteste, et que l’erreur veut soutenir[2]. »

Réfutez le prince auteur de ces paroles ; à moins que vous n’aimiez mieux être son aumônier, ce qui vous serait plus avantageux.

  1. Frédéric II, roi de Prusse ; voyez tome XXIV, page 437, et XXVI, 203.
  2. Voyez tome XXIV, pages 451-452.