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A ANTOINE-JACQUES RUSTAN. 109

Nous ne sommes pas étonnés que vous vous déchaîniez contre la noblesse. Vous dites « qu'il est permis aux sots d'en faire le bouclier de leur sottise (page 93), et que les gens sensés ne connaissent de noble que l'homme de bien » ; c'est un scanda- lum magnatum; c'est le discours d'un vil séditieux, et non pas d'un ministre de l'Évangile. Tout juré vidangeur, toutgadouard, tout savetier, tout geôlier, tout bourreau mémo, peut sans doute être homme de bien ; mais il n'est pas noble pour cela. Cessez d'outrer la malheureuse manie de votre ami Jean-Jacques Rous- seau, qui crie que tous les hommes sont égaux. Ces maximes sont le fruit d'un orgueil ridicule qui détruirait toute société. Songez que Dieu a dit par la bouche de Jésus fils de Sirach ^ : « Je hais, je ne puis supporter le gueux superbe. »

Oui, notre frère, tous les hommes sont égaux en ce qu'ils ont les mêmes membres et les mêmes besoins, les mêmes droits à la justice distributive; mais ils ne peuvent pas tous être à la même place. Il est de la différence entre le soldat et le capitaine, entre le sujet et le prince, entre le plaideur et le juge. Le grand Dieu nous préserve de vouloir vous humilier ! mais quand votre père était à l'hôpital de Genève, où son ivrognerie le conduisit assez souvent, était-il l'égal des directeurs de l'hôpital et du premier syndic? Prenez garde qu'on ne vous dise : Ne, sutor, ultra crepidam.

Nous savons que M. Rilliet^ a dit aux Genevois, chez qui nous accourons en foule de nos provinces, qu'ils sont au-dessus des ducs et pairs de France, et des grands d'Espagne. Si cela est, il n'y a point là d'égahté, puisque les Genevois sont supérieurs; mais remarquez bien que M. Rilliet n'a parlé qu'aux citoyens, et que vous n'êtes pas citoyen.

Vous répondrez que vous êtes prêtre, et que, selon le révérend docteur Hickes, « le prêtre est au-dessus du prince; que les rois et les reines doivent fléchir le genou devant un prêtre; que vou- loir juger un prêtre, c'est vouloir juger Dieu lui-même, etc. » Nous convenons de toutes ces vérités : cependant il est toujours bon d'être modeste, car Euripide a dit {Mèdée, vers 636 et 637):

27î'p-j'oi Si u.s oû)©poaûva,

Et Plutarque dit aussi de merveilleuses choses sur la modestie.

1. Ecclésiastique, xxv, 4.

2. Théodore Rilliet, né à Genève en 1727, membre du conseil des Deux-Cents, mort en 1782, eut de beaux talents dont il se servit fort mal, dit Senebier dans sa Genève littéraire, tome III, page 250. (B.)

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