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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


Je suppose que la savante congrégation qui condamna Galilée[1] comme impie et comme absurde, pour avoir démontré le mouvement de la terre autour du soleil, eût eu quelque connaissance des idées du chancelier Bacon, qui proposait d’examiner si l’attraction est donnée à la matière ; je suppose que le rapporteur de ce tribunal eût remontré à ces graves personnages qu’il y avait des gens assez fous en Angleterre pour soupçonner que Dieu pouvait donner à toute la matière, depuis Saturne jusqu’à notre petit tas de boue, une tendance vers un centre, une attraction, une gravitation, laquelle serait absolument indépendante de toute impulsion, puisque l’impulsion donnée par un fluide en mouvement agit en raison des surfaces, et que cette gravitation agit en raison des solides. Ne voyez-vous pas ces juges de la raison humaine, et de Dieu même, dicter aussitôt leurs arrêts, anathématiser cette gravitation que Newton a démontrée depuis ; prononcer que cela est impossible à Dieu, et déclarer que la gravitation vers un centre est un blasphème ? Je suis coupable, ce me semble, de la même témérité, quand j’ose assurer que Dieu ne peut faire sentir et penser un être organisé quelconque.

Cinquièmement, je ne puis douter que Dieu n’ait accordé des sensations, de la mémoire, et par conséquent des idées, à la matière organisée dans les animaux[2]. Pourquoi donc nierai-je qu’il puisse faire le même présent à d’autres animaux ? On l’a déjà dit[3], la difficulté consiste moins à savoir si la matière organisée peut penser qu’à savoir comment un être, quel qu’il soit, pense.

La pensée a quelque chose de divin ; oui sans doute, et c’est pour cela que je ne saurai jamais ce que c’est que l’être pensant. Le principe du mouvement est divin, et je ne saurai jamais la cause de ce mouvement dont tous mes membres exécutent les lois.

L’enfant d’Aristote, étant en nourrice, attirait dans sa bouche le téton qu’il suçait, en formant précisément avec sa langue, qu’il retirait, une machine pneumatique, en pompant l’air, en formant du vide, tandis que son père ne savait rien de tout cela, et disait au hasard que la nature abhorre le vide.

  1. Voyez tome XII, page 249.
  2. Les mêmes preuves qui établiraient l’immatérialité de l’âme humaine serviraient à prouver avec la même force l’immatérialité de l’âme des animaux. Aussi cette raison ne peut être apportée que contre les philosophes qui croient que l’âme humaine et celle des animaux sont d’une nature essentiellement différente. Voyez, ci-après, l’ouvrage intitulé Il faut prendre un parti, § X. (K.)
  3. En 1741, voyez tome XXII, page 422 ; et, en 1751, voyez tome XVII, page 158.