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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


mouvement dans les animaux et dans les plantes, ni leur structure adaptée à ces lois, ni la profonde mathématique qui gouverne le cours des astres : il craint d’apercevoir que tout ce qui existe atteste une Providence divine ; il ne remonte point des effets à leur cause ; mais, se mettant tout d’un coup à la tête de l’origine des choses, il bâtit son roman, comme Descartes a construit le sien, sur une supposition. Il supposait le plein avec Descartes, quoiqu’il soit démontré, en rigueur, que tout mouvement est impossible dans le plein. C’est là principalement ce qui lui fit regarder l’univers comme une seule substance. Il a été la dupe de son esprit géométrique. Comment Spinosa, ne pouvant douter que l’intelligence et la matière existent, n’a-t-il pas examiné au moins si la Providence n’a pas tout arrangé ? comment n’a-t-il pas jeté un coup d’œil sur ces ressorts, sur ces moyens dont chacun a son but, et recherché s’ils prouvent un artisan suprême ? Il fallait qu’il fût ou un physicien bien ignorant, ou un sophiste gonflé d’un orgueil bien stupide, pour ne pas reconnaître une Providence toutes les fois qu’il respirait et qu’il sentait son cœur battre : car cette respiration et ce mouvement du cœur sont des effets d’une machine si industrieusement compliquée, arrangée avec un art si puissant, dépendante de tant de ressorts concourant tous au même but, qu’il est impossible de l’imiter, et impossible à un homme de bon sens de ne la pas admirer.

Les spinosistes modernes répondent : Ne vous effarouchez pas des conséquences que vous nous imputez ; nous trouvons comme vous une suite d’effets admirables dans les corps organisés et dans toute la nature. La cause éternelle est dans l’intelligence éternelle que nous admettons, et qui, avec la matière, constitue l’universalité des choses qui est Dieu. Il n’y a qu’une seule substance qui agit par la même modalité de sa pensée sur sa modalité de la matière, et qui constitue ainsi l’univers qui ne fait qu’un tout inséparable.

On réplique à cette réponse : Comment pouvez-vous nous prouver que la pensée qui fait mouvoir les astres, qui anime l’homme, qui fait tout, soit une modalité, et que les déjections d’un crapaud et d’un ver soient une autre modalité de ce même être souverain ? Oseriez-vous dire qu’un si étrange principe vous est démontré ? Ne couvrez-vous pas votre ignorance par des mots que vous n’entendez point ? Bayle a très-bien démêlé les sophismes de votre maître dans les détours et dans les obscurités du style prétendu géométrique, et réellement très-confus, de ce maître. Je vous renvoie à lui ; des philosophes ne doivent pas récuser Bayle.