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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


ployer son action. Il est évident qu’il l’a pu ; et s’il l’a pu, qui sera assez hardi pour me dire qu’il ne l’a pas fait ? La révélation seule, encore une fois, peut m’apprendre le contraire ; mais nous n’en sommes pas encore à cette révélation, qui écrase toute philosophie, à cette lumière devant qui toute lumière s’évanouit.


XXI. — Ma dépendance encore.

Cet Être éternel, cette cause universelle me donne mes idées : car ce ne sont pas les objets qui me les donnent. Une matière brute ne peut envoyer des pensées dans ma tête ; mes pensées ne viennent pas de moi, car elles arrivent malgré moi, et souvent s’enfuient de même. On sait assez qu’il n’y a nulle ressemblance, nul rapport entre les objets et nos idées et nos sensations. Certes il y avait quelque chose de sublime dans ce Malebranche, qui osait prétendre que nous voyons tout dans Dieu même ; mais n’y avait-il rien de sublime dans les stoïciens, qui pensaient que c’est Dieu qui agit en nous, et que nous possédons un rayon de sa substance ? Entre le rêve de Malebranche et le rêve des stoïciens, où est la réalité ? Je retombe (question ii) dans l’ignorance, qui est l’apanage de ma nature ; et j’adore le Dieu par qui je pense, sans savoir comment je pense.


XXII. — Nouvelle question.

Convaincu par mon peu de raison qu’il y a un être nécessaire, éternel, intelligent, de qui je reçois mes idées, sans pouvoir deviner ni le comment, ni le pourquoi, je demande ce que c’est que cet être, s’il a la forme des espèces intelligentes et agissantes supérieures à la mienne dans d’autres globes ? J’ai déjà dit que je n’en savais rien (question i). Néanmoins je ne puis affirmer que cela soit impossible, car j’aperçois des planètes très-supérieures à la mienne en étendue, entourées de plus de satellites que la terre. Il n’est point du tout contre la vraisemblance qu’elles soient peuplées d’intelligences très-supérieures à moi, et de corps plus robustes, plus agiles, et plus durables. Mais leur existence n’ayant nul rapport à la mienne, je laisse aux poëtes de l’antiquité le soin de faire descendre Vénus de son prétendu troisième ciel, et Mars du cinquième ; je ne dois rechercher que l’action de l’être nécessaire sur moi-même.