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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


l’existence éternelle de son artisan suprême ; et il est évident que, s’il existe aujourd’hui, il a existé toujours.


XVII. — Incompréhensibilité.

Je n’ai fait encore que deux ou trois pas dans cette vaste carrière ; je veux savoir si cette intelligence divine est quelque chose d’absolument distinct de l’univers, à peu près comme le sculpteur est distingué de la statue, ou si cette âme du monde est unie au monde, et le pénètre ; à peu près encore comme ce que j’appelle mon âme est uni à moi, et selon cette idée de l’antiquité si bien exprimée dans Virgile :

Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.

(Æn., lib. VI, v. 727.)

Et dans Lucain :

Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris.

(Lib. IX, v. 580.)

Je me vois arrêté tout à coup dans ma vaine curiosité. Misérable mortel, si je ne puis sonder ma propre intelligence, si je ne puis savoir ce qui m’anime, comment connaîtrai-je l’intelligence ineffable qui préside visiblement à la matière entière ? Il y en a une, tout me le démontre ; mais où est la boussole qui me conduira vers sa demeure éternelle et ignorée ?


XVIII. — Infini.

Cette intelligence est-elle infinie en puissance et en immensité, comme elle est incontestablement infinie en durée ? Je n’en puis rien savoir par moi-même. Elle existe, donc elle a toujours existé, cela est clair. Mais quelle idée puis-je avoir d’une puissance infinie ? Comment puis-je concevoir un infini actuellement existant ? comment puis-je imaginer que l’intelligence suprême est dans le vide ? Il n’en est pas de l’infini en étendue comme de l’infini en durée. Une durée infinie s’est écoulée au moment que je parle, cela est sûr ; je ne peux rien ajouter à cette durée passée, mais je peux toujours ajouter à l’espace que je conçois, comme je peux ajouter aux nombres que je conçois. L’infini en nombre et en étendue, est hors de la sphère de mon entendement. Quelque chose qu’on me dise, rien ne m’éclaire dans cet abîme. Je sens heureusement