Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/594

Cette page n’a pas encore été corrigée

584 SliRMON

toutes choses, qui connaît les cœurs, de punir les traîtres qui rompraient cette paix sacrée. »

Malheur à un hahitant de Lucerne ou de Frihourg qui dirait à un réformé de Berne ou de Genève : Je ne vous connais pas ; j'invoque des saints, et vous n'invoquez que Dieu ; je crois au concile de Trente, et vous à VÈvangile : aucune correspondance ne peut subsister entre nous ; votre fils ne peut épouser ma fille; vous ne pouvez posséder une maison dans notre cité : « Vous n'avez point écouté mon assemblée, vous êtes pour moi comme un païen et comme un receveur des deniers de l'ÉtatM »

Voilà pourtant les termes dans lesquels nous sommes, nous qui accusons sans cesse d'intolérance des nations plus hospita- lières. Nous sommes treize républiques confédérées 2, et nous ne sommes pas compatriotes. La liberté nous a unis, et la religion nous* divise. Qu'aurait-on dit dans l'antiquité, si un Grec de Thèbes ou de Corinthe avait été banni de la communion d'Athènes et de Sparte? En quelque endroit de la Grèce qu'ils allassent, ils se trouvaient chez eux ; celui dont la cité était sous la protection d'Hercule allait sacrifier dans Athènes à Minerve: on les voyait associés aux mêmes mystères comme aux mêmes jeux. Le droit le plus sacré, le plus beau lien qui ait jamais joint les hommes, l'hospitalité, rendait, au moins pour quelque temps, le Scythe concitoyen de l'Athénien. Jamais il n'y eut entre ces peuples aucune querelle de religion. La république romaine ne connut jamais cette fureur absurde. On ne vit pas, depuis Romulus, un seul citoyen romain inquiété pour sa manière de penser ; et tous les jours le stoïcien, l'académicien, le platonicien, l'épicurien, l'éclectique, goûtaient ensemble les douceurs de la société : leurs disputes n'étaient qu'instructives. Ils pensaient, ils parlaient, ils écrivaient dans une sécurité parfaite.

On l'a dit cent fois à notre confusion: nous n'avons qu'à rou- gir, nous qui, étant frères par nos traités, sommes encore si étrangers les uns aux autres par nos dogmes ; nous qui, après avoir eu la gloire de chasser nos tyrans, avons eu l'horreur et la honte de nous déchirer par des guerres civiles, pour des chi- mères scolastiques.

Je sais bien que nous ne voyons plus renaître ces jours dé- plorables où cinq cantons', enivrés du fanatisme qui empoison-

��1. Matthieu, xviii, 17.

■■2. La Suisse était alors divisée en treize cantons.

3. Ceux de Lucerne, Zug, Schwitz, Uri, et Underwald; voyez t. XII, p. 294.

�� �