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DE BOULAINVILLIERS. 557

surtout, un cloître est le repaire de la discorde et de l'envie. Les moines sont des forçats volontaires qui se battent en ramant en- semble; j'en excepte un très-petit nombre qui sont ou véritable- ment pénitents ou utiles; mais, en vérité, Dieu a-t-il mis l'homme et la femme sur la terre pour qu'ils traînassent leur vie dans des cachots, séparés les uns des autres à jamais? Est-ce là le but de la'nature? Tout le monde crie contre les moines; et moi, je les plains. La plupart, au sortir de l'enfance, ont fait pour jamais le sacrifice de leur liberté; et sur cent il y en a quatre-vingts au moins qui sèchent dans l'amertume. Où sont donc ces grandes consolations que votre religion donne aux hommes? Un riche bé- néficier est consolé, sans doute; mais c'est par son argent, et non par sa foi. S'il jouit de quelque bonheur, il ne le goûte qu'en vio- lant les règles de son état. Il n'est heureux que comme homme du monde, et non pas comme homme d'église. Un père de famille, sage, résigné à Dieu, attaché à sa patrie, environné d'enfants et d'amis, reçoit de Dieu des bénédictions mille fois plus sensibles.

De plus, tout ce que vous pourriez dire en faveur des mérites de vos moines, je le dirais à bien plus forte raison des derviches, des marabouts, des fakirs, des bonzes. Ils font des pénitences cent fois plus rigoureuses : ils se sont voués à des austérités plus effrayantes; et ces chaînes de fer sous lesquelles ils sont courbés, ces bras toujours étendus dans la même situation, ces macéra- tions épouvantables, ne sont rien encore en comparaison des jeunes femmes de l'Inde qui se brûlent sur le bûcher de leurs maris, dans le fol espoir de renaître ensemble.

Ne vantez donc plus ni les peines ni les consolations que la religion chrétienne fait éprouver. Convenez hautement qu'elle n'approche en rien du culte raisonnable qu'une famille honnête rend à l'Être suprême sans superstition. Laissez là les cachots des couvents ; laissez là vos mystères contradictoires et inutiles, l'objet de la risée universelle ; prêchez Dieu et la morale, et je vous réponds qu'il y aura plus de vertu et plus de félicité sur la terre.

LA COMTESSE.

Je suis fort de cette opinion,

M. FRÉRET.

Et moi aussi, sans doute.

l'abbé. Eh bien, puisqu'il faut vous dire mon secret, j'en suis aussi.

Alors le président de Maisons, l'abbé de Saint-Pierre, M. Dufay, M. Dumarsais, arrivèrent; et M. l'abbé de Saint-Pierre lut, selon

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