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LE DÎNER DU COMTE


le comte.

Je reconnais là mes bons musulmans du premier siècle.

l’abbé.

Et moi, mes bons chrétiens.

m. fréret.

Et moi, je suis fâché qu’Assan l’échaudé, fils d’Ali, ait donné vingt pièces d’or pour avoir de la gloire en paradis. Je n’aime point les belles actions intéressées. J’aurais voulu qu’Assan eût été assez vertueux et assez humain pour consoler le désespoir de l’esclave, sans songer à être placé dans le paradis au troisième degré.

la comtesse.

Allons prendre du café. J’imagine que, si à tous les dîners de Paris, de Vienne, de Madrid, de Lisbonne, de Rome, et de Moscou, on avait des conversations aussi instructives, le monde n’en irait que mieux.


TROISIÈME ENTRETIEN.
APRÈS DÎNER.
l’abbé.

Voilà d’excellent café, madame ; c’est du moka tout pur.

la comtesse.

Oui, il vient du pays des musulmans ; n’est-ce pas grand dommage ?

l’abbé.

Raillerie à part, madame, il faut une religion aux hommes.

le comte.

Oui, sans doute ; et Dieu leur en a donné une divine, éternelle, gravée dans tous les cœurs : c’est celle que, selon vous, pratiquaient Énoch, les noachides et Abraham ; c’est elle que les lettrés chinois ont conservée depuis plus de quatre mille ans, l’adoration d’un Dieu, l’amour de la justice, et l’horreur du crime.

la comtesse.

Est-il possible qu’on ait abandonné une religion si pure et si sainte pour les sectes abominables qui ont inondé la terre ?

m. fréret.

En fait de religion, madame, on a eu une conduite directement contraire à celle qu’on a eue en fait de vêtement, de logement, et de nourriture. Nous avons commencé par des cavernes,