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536 LE DINER DU COMTE

l'abbé. Vous m'embarrassez beaucoup, car « hors de l'Église point de salut »,

Nul ne doit plaire au ciel que nous et nos amis*.

« Quiconque n'écoute pas l'Église, qu'il soit comme un païen ou comme un fermier général-. » Scipion et Marc-Aurèle n'ont point écouté l'Église ; ils n'ont point reçu le concile de Trente ; leurs âmes spirituelles seront rôties à jamais; et quand leurs corps, dispersés dans les quatre éléments, seront retrouvés, ils seront rôtis à jamais aussi avec leurs âmes. Rien n'est plus clair, comme rien n'est plus juste : cela est positiL

D'un autre côté, il est bien dur de brûler éternellement Socrate, Aristide, Pythagore, Épictète, les Antonins, tous ceux dont la vie a été pure et exemplaire, et d'accorder la béatitude éternelle à l'âme et au corps de François Ravaillac, qui mourut en bon chrétien, bien confessé, et muni d'une grâce efficace ou suffisante. Je suis un peu embarrassé dans cette affaire: car enfin je suis juge de tous les hommes ; leur bonheur ou leur malheur éternel dépend de moi, et j'aurais quelque répugnance à sauver Ravaillac et à damner Scipion.

Il y a une chose qui me console, c'est que nous autres théo- logiens nous pouvons tirer des enfers qui nous voulons ; nous lisons dans les Actes de sainte Th'ecle, grande théologienne, disciple de saint Paul, laquelle se déguisa en homme pour le suivre, qu'elle délivra de l'enfer son amie Faconille, qui avait eu le mal- heur de mourir païenne ^

Le grand saint Jean Damascène rapporte que le grand saint Macaire, le même qui obtint de Dieu la mort d'Arius par ses ardentes prières, interrogea un jour dans un cimetière le crâne d'un païen sur son salut : le crâne lui répondit que les prières des théologiens soulageaient infiniment les damnés*.

Enfin nous savons de science certaine que le grand saint Grégoire, pape, tira de l'enfer l'âme de l'empereur Trajan'^ : ce sont là de beaux exemples de la miséricorde de Dieu.

1. Parodie du vers de Molière {Femmes savantes, III, ii.)

Nul n'aura do l'esprit hors nous et nos amis.

2. Matthieu, chap. xvin, v. 17. {Noie de Voltaire.)

3. Voyez Damascène, Orat. de us qui in face dormierunt, page 585. ( Id.) i. Apud Grab. Spicileg., tome I. {Id.)

5. Eucologe, c. 96, et aliilib. grœc, Damascène, page 588. {Id.)

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