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NOTES SUR UNE LETTRE


places, ne servent qu’à montrer leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus….

On est si accoutumé à ces lieux communs d’impertinences qu’ils n’ont pas fait la plus légère sensation. Ce style insolent et violent qu’on a voulu mettre à la mode n’est plus de mode ; on commence à revenir à la raison ; on sent enfin que la sagesse et la décence doivent conduire la plume de tout écrivain qui veut mériter l’approbation des honnêtes gens. Sopere est et principium et fons[1].

Il est dit dans cet ouvrage qu’il n’y a qu’un pays dans l’Europe capable de législation, et que ce pays est l’île de Corse (page 110). C’est là qu’il est dit que les Tartares subjugueront bientôt infailliblement la Russie, l’Allemagne et la France (page 96). C’est là qu’il est dit que le peuple anglais pense être libre, mais qu’il est esclave, et qu’il le mérite bien (page 214).

Il n’a pas apparemment envie d’aller chercher un asile à Venise. Il dit (page 248) que la noblesse y est peuple, que c’est une multitude de Barnabotes ; que la bourgeoisie de Genève représente exactement le patriciat vénitien, et que les paysans de Genève représentent les sujets de terre ferme. Il ignore que parmi les sujets de terre ferme, à Padoue, à Vicence, à Vérone, à Brescia, à Bergame, à Crême, etc., il y a mille familles de la plus ancienne noblesse.

Ainsi, en insultant toutes les nations, toutes les conditions de la vie, tous les arts qu’il a voulu lui-même cultiver, et tous les hommes avec lesquels il a vécu, cet écrivain s’est flatté d’usurper, par une insolence cynique, une réputation qu’on n’acquiert jamais que par le génie. Il a calomnié les philosophes qui l’avaient reçu, protégé et instruit ; ingrat envers ses maîtres, envers ses amis, envers ses bienfaiteurs ; recevant l’aumône d’un bourgeois inconnu parce qu’il croit qu’on n’en saura rien, et la refusant de la main d’un prince parce qu’il croit qu’on le saura : il s’est imaginé que ses bizarreries lui feraient un nom !

Il appelle M. Tronchin jongleur, dans sa lettre à M. Hume, tandis que lui-même pousse le charlatanisme jusqu’à s’habiller à l’orientale à Paris et en Angleterre, pour attirer sur lui les regards de la populace, qui le dédaigne.

Il parle de mœurs et de décence, et de la sainte vertu. Cela s’accorde mal avec les suites des récréations philosophiques qu’il prenait dans ces lieux honnêtes où il oubliait la Suissesse russe,

  1. Horace, Art poét., 309.