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rot et d’Alembert, deux philosophes qui font honneur à la France : l’un a été distingué par les générosités de l’impératrice de Russie ; et l’autre par le refus d’une fortune éclatante offerte par cette impératrice, mais que sa philosophie même ne lui a pas permis d’accepter. M. le chevalier de Jaucourt, d’une ancienne maison qu’il illustre par ses vastes connaissances comme par ses vertus, se joignit à ces deux savants, et se signala par un travail infatigable.

Ils furent aidés par M. le comte d’Hérouville, lieutenant général des armées du roi, profondément instruit dans tous les arts qui peuvent tenir à votre grand art de la guerre ; par M. le comte de Tressan, aussi lieutenant général, dont les différents mérites sont universellement reconnus ; par M. de Saint-Lambert, ancien officier, qui, en faisant des vers mieux que Chapelle, n’en a pas moins approfondi ce qui regarde les armes. Plusieurs autres officiers généraux ont donné d’excellents Mémoires de tactique.

D’habiles ingénieurs ont enrichi ce Dictionnaire de tout ce qui concerne l’attaque et la défense des places. Des présidents et des conseillers des parlements ont fourni plusieurs articles sur la jurisprudence. Enfin il n’y a point de science, d’art, de profession, dont les plus grands maîtres n’aient à l’envi enrichi ce Dictionnaire. C’est le premier exemple et le dernier peut-être sur la terre qu’une foule d’hommes supérieurs se soient empressés sans aucun intérêt, sans aucune vue particulière, sans même celle de la gloire (puisque quelques-uns se sont cachés), à former ce dépôt immortel des connaissances de l’esprit humain.

Cet ouvrage fut entrepris sous les auspices et sous les yeux du comte d’Argenson, ministre d’État, capable de l’entendre et digne de le protéger. Le vestibule de ce prodigieux édifice est un discours préliminaire composé par M. d’Alembert. J’ose dire hardiment que ce discours, applaudi de toute l’Europe, parut supérieur à la méthode de Descartes, et égal à tout ce que l’illustre chancelier Bacon avait écrit de mieux. S’il y a dans le cours de l’ouvrage des articles frivoles, et d’autres qui sentent plutôt le déclamateur que le philosophe, ce défaut est bien réparé par la quantité prodigieuse d’articles profonds et utiles. Les éditeurs ne purent refuser quelques jeunes gens[1] qui voulurent, dans cette collection, mettre leurs essais à côté des chefs-d’œuvre des maî-

  1. Voltaire, dans sa lettre à Damilaville, du 8 octobre 1764, dit : « J’aurais bien voulu que des Cahusac, des Desmahis n’eussent pas travaillé à l’Encyclopédie : qu’on se fût associé de vrais savants, et non pas de petits freluquets. » Cahusac, né vers 1710, est mort en 1759 ; Desmahis, né en 1722, est mort en 1761.