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tière si intéressante : peut-être a-t-elle voulu rebuter des lecteurs qui l’auraient persécutée, s’ils l’avaient entendue et s’ils avaient eu du plaisir en la lisant. Comme elle était protestante, elle n’a guère été lue que par des protestants. Un prédicant, nommé Desroclios, l’a réfutée, et même assez poliment pour un prédi- cant. Les ministres protestants, monseigneur, devraient, ce me semble, être plus modérés avec les théistes que les évêques catho- liques et les cardinaux : car supposé un moment, ce qu’à Dieu ne plaise, que le théisme prévalût, qu’il n’y eût qu’un culte simple sous l’autorité des lois et des magistrats, que tout fût ré- duit à l’adoration de l’Être suprême rémunérateur et vengeur, les pasteurs protestants n’y perdront rien ; ils resteront chargés de présider aux prières publiques faites à l’Être suprême, et seront toujours des maîtres de morale : on leur conservera leurs pensions, ou, s’ils les perdent, cette perte sera bien modique. Leurs antagonistes, au contraire, ont de riches prélatures; ils sont comtes, ducs, princes; ils ont des souverainetés; et quoique tant de grandeurs et de richesses conviennent mal peut-être aux successeurs des apôtres, ils ne souffriront jamais qu’on les en dépouille : les droits temporels même qu’ils ont acquis sont tellement liés aujourd’hui à la constitution des États cathohques qu’on ne peut les en priver que par des secousses violentes.

Or le théisme est une religion sans enthousiasme, qui par elle-même ne causera jamais de révolution. Elle est erronée, mais elle est paisible. Tout ce qui est à craindre, c’est que le théisme, si universellement répandu, ne dispose insensiblement tous les esprits à mépriser le joug des pontifes, et qu’à la première occa- sion la magistrature ne les réduise à la fonction de prier Dieu pour le peuple ; mais tant qu’ils seront modérés, ils seront res- pectés : il n’y a jamais que l’abus du pouvoir qui puisse énerver le pouvoir. Remarquons en effet, monseigneur, que deux ou trois cents volumes de théisme n’ont jamais diminué d’un écu le revenu des pontifes catholiques romains, et que deux ou trois écrits de Luther et de Calvin leur ont enlevé environ cinquante millions de rente. Une querelle de théologie pouvait, il y a deux cents ans, bouleverser l’Europe; le théisme n’attroupa jamais quatre personnes. On peut même dire que cette religion, en trompant les esprits, les adoucit, et qu’elle apaise les querelles que la vérité mal entendue a fait naître. Quoi qu’il en soit, je me borne à rendre à Votre Altesse un compte fidèle. C’est à vous qu’il appartient de juger.

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