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Les ordres mendiants habitent l'île des frères Fredons. Ils paraissent d'ahord en procession. L'un d'eux ne répond qu'en monosyllabes à toutes les questions que Panurge fait sur leurs

g « Combien sont-elles? viny/i. Combien en voud riez-vous ?

cent.

(( Le remuement des fesses, quel est-il? dru.

(( Que disent-elles en culetant? mot.

« Vos instruments, quels sont-ils?.... grands.

« Quantes fois par jour? six. Et de nuit? dix. »

Enfin l'on arrive à l'oracle de la Dive Bouteille. La coutume alors, dans l'Église, était de présenter de l'eau aux communiants laïques pour faire passer l'hostie; et c'est encore l'usage en Alle- magne. Les réformateurs voulaient absolument du vin pour figu- rer le sang de Jésus-Christ. L'Église romaine soutenait que le sang était dans le pain aussi bien que les os et la chair. Cepen- dant les prêtres catholiques buvaient du vin, et ne voulaient pas que les séculiers en bussent. Il y avait dans l'île de l'oracle de la Dive Bouteille une belle fontaine d'eau claire. Le grand pontife * Bacbuc en donna à boire aux pèlerins en leur disant ces mots : (c Jadis ung capitaine juif, docte et chevaleureux, conduisant son peuple par les déserts en extresme famine, impétra des cieulx la manne, laquelle leur estoit de goust tel par imagination que parravant réalement leur estoient les viandes. Ici de mesme, beu- vant de ceste liqueur mirificque, sentirez goust de tel vin comme l'aurez imaginé. Or imaginez et heuvez : ce que nous feymes; puis s'escria Panurge, disant : Par-Dieu, c'est ici vin de Beaulne, meil- leur que oncqucs jamais je beu, ou je me donne à nouante et seize diables. »

Le fameux doyen d'Irlande Swift a copié ce trait dans son Conte du Tonneau-, ainsi que plusieurs autres. Milord Pierre donne à Blartin et à Jean, ses frères, un morceau de pain sec pour leur dîner, et veut leur faire accroire que ce pain contient de bon bœuf, des perdrix, des chapons, avec d'excellent vin de- Bourgogne.

Vous remarquerez que Rabelais dédia la partie de son livre qui contient cette sanglante satire de l'Église romaine au cardinal Odet de Chàtillon ^ qui n'avait pas encore levé le masque, et ne s'était pas déclaré pour la religion protestante. Son livre fut im-

��1. C'est la grande-pontife.

2. Voyez ci-dessus, page 206.

3. Voyez tome XII, page 506; et XV, 518.

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