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chien qui suce la moelle. On ne s’attacha qu’aux os, c’est-à-dire aux bouffonneries absurdes, aux obscénités affreuses, dont le livre est plein. Si malheureusement pour Rabelais on avait trop pénétré le sens du livre, si on l’avait jugé sérieusement, il est à croire qu’il lui en aurait coûté la vie, comme à tous ceux qui, dans ce temps-là, écrivaient contre l’Église romaine.

Il est clair que Gargantua est François Ier, Louis XII est Grand-Gousier, quoiqu’il ne fût pas le père de François, et Henri II est Pantagruel. L’éducation de Gargantua et le chapitre des torcheculs sont une satire de l’éducation qu’on donnait alors aux princes : les couleurs blanc et bleu désignent évidemment la livrée des rois de France.

La guerre pour une charrette de fouaces est la guerre entre Charles-Quint et François Ier, qui commença pour une querelle très-légère entre la maison de Bouillon la Marck et celle de Chimai ; et cela est si vrai que Rabelais appelle Marckuet le conducteur des fouaces par qui commença la noise.

Les moines de ce temps-là sont peints très-naïvement sous le nom de frère Jean des Entomeures. Il n’est pas possible de méconnaître Charles-Quint dans le portrait de Picrochole.

À l’égard de l’Église, il ne l’épargne pas. Dès le premier livre, au chap. xxxix, voici comme il s’exprime : « Que Dieu est bon qui nous donne ce bon piot ! j’advoue Dieu, si j’eusse esté au temps de Jésus-Christ, j’eusse bien engardé que les Juifs ne l’eussent prins au jardin d’Olivet. Ensemble le diable me faille, si j’eusse failly de coupper les jarrets à messieurs les apostres, qui fuirent tant laschement après qu’ils eurent bien souppé, et laissarent leur bon maistre au besoing. Je hay plus que poison ung homme qui fuit quand il fault jouer des cousteaulx. Hon, que je ne suis roy de France pour quatre-vingts ou cent ans ! par Dieu, je vous mettroys en chien courtault les fuyards de Pavie. »

On ne peut se méprendre à la généalogie de Gargantua[1] : c’est une parodie très-scandaleuse de la généalogie la plus respectable. « De ceulx-là, dit-il, sont venus les géants, et par eulx Pantagruel, et le premier feut Chalbroth, qui engendra Sarabroth,

« Qui engendra Faribroth,

« Qui engendra Hurtaly, qui feut beau mangeur de souppe. et régna au temps du déluge ;

  1. Dans le chapitre ier de Gargantua, Rabelais remet à la chronique pantagruéline pour la généalogie de Gargantua ; et dans le chapitre ier de Pantagruel il donne cette généalogie depuis Chalbroth jusqu’à Pantagruel, fils de Gargantua.