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POUR LE PRINCE ROYAL DE***.

N’êtes-vous pas assez riche sans vous engraisser du sang de vos sujets ? Les bons empereurs, dont nous tenons notre législation, n’ont jamais admis ces lois barbares.

Les supplices sont malheureusement nécessaires : il faut effrayer le crime ; mais rendez les supplices utiles ; que ceux qui ont fait tort aux hommes servent les hommes. Deux souveraines[1] du plus vaste empire du monde ont donné successivement ce grand exemple. Des pays affreux, défrichés par des mains criminelles, n’en ont pas moins été fertiles. Les grands chemins réparés par leurs travaux toujours renaissants ont fait la sûreté et l’embellissement de l’empire.

Que l’usage affreux de la question ne revienne jamais dans vos provinces, excepté le cas où il s’agirait évidemment du salut de l’État.

La question, la torture[2] fut d’abord une invention des brigands qui, venant piller des maisons, faisaient souffrir des tourments aux maîtres et aux domestiques jusqu’à ce qu’ils eussent découvert leur argent caché ; ensuite les Romains adoptèrent cet horrible usage contre les esclaves, qu’ils ne regardaient pas comme des hommes ; mais jamais les citoyens romains n’y furent exposés.

Vous savez d’ailleurs que, dans les pays où cette coutume horrible est abolie, on ne voit pas plus de crimes que dans les autres. On a tant dit que la question est un secret presque sûr pour sauver un coupable robuste, et pour condamner un innocent d’une constitution faible, que ce raisonnement a enfin persuadé des nations entières.

V.

Les finances sont chez vous administrées avec une économie qui ne doit se déranger jamais. Conservez précieusement cette sage administration. La recette est aussi simple qu’elle puisse l’être. Les soldats, qui ne servent à rien en temps de paix, sont distribués aux portes des villes : ils prêteraient un prompt secours au receveur des tributs, qui est d’ordinaire un homme d’âge, seul, et désarmé. Vous n’êtes point obligé d’entretenir une armée de commis contre vos sujets. L’argent de l’État ne passe point par trente mains différentes, qui toutes en retiennent une partie. On ne voit point de fortunes immenses élevées par la rapine, à

  1. Élisabeth et Catherine II ; voyez tome XX, page 535.
  2. Voyez tome XX, pages 313, 533 ; XXV, 557.