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POUR LE PRINCE ROYAL DE***.

Elle ne prie pour aucun des princes de la terre qui sont d’une secte différente. C’est elle qui, en forçant ces autres sociétés à l’imiter, a rompu tous les liens qui doivent unir les hommes.

Elle ose se dire chrétienne, catholique, et elle n’est assurément ni l’une ni l’autre. Qu’y a-t-il en effet de moins chrétien que d’être en tout opposé au Christ ? Le Christ et ses disciples ont été pauvres ; ils ont fui les honneurs ; ils ont chéri l’abaissement et les souffrances. Reconnaît-on à ces traits des moines, des évêques, qui regorgent de trésors, qui ont usurpé dans plusieurs pays les droits régaliens ; un pontife qui règne dans la ville des Scipions et des Césars, et qui ne daigne jamais parler à un prince si ce prince n’a pas auparavant baisé ses pieds ? Ce contraste extravagant ne révolte pas assez les hommes.

On le souffre en riant dans la communion romaine, parce qu’il est établi dès longtemps ; s’il était nouveau, il exciterait l’indignation et l’horreur. Les hommes, tout éclairés qu’ils sont aujourd’hui, sont les esclaves de seize siècles d’ignorance qui les ont précédés.

Conçoit-on rien de plus avilissant pour les souverains de la communion soi-disant catholique que de reconnaître un maître étranger ? Car quoiqu’ils déguisent ce joug, ils le portent. L’auteur du Siècle de Louis XIV, que vous lisez avec fruit, a beau dire[1] que le pape est une idole dont on baise les pieds et dont on lie les mains, ces souverains envoient à cette pagode une ambassade d’obédience ; ils ont à Rome un cardinal protecteur de leur couronne ; ils lui payent des tributs en annates, en premiers fruits. Mille causes ecclésiastiques dans leurs États sont jugées par des commissaires que ce prêtre étranger délègue.

Enfin plus d’un roi souffre chez lui l’infâme tribunal de l’Inquisition, érigé par des papes et rempli par des moines : il est mitigé ; mais il subsiste, à la honte du trône et de la nature humaine.

Vous ne pouvez, sans un rire de pitié, entendre parler de ces troupeaux de fainéants tondus, blancs, gris, noirs, chaussés, déchaux, en culottes ou sans culottes, pétris de crasse et d’arguments, dirigeant des dévotes imbéciles, mettant à contribution la populace, disant des messes pour faire retrouver les choses perdues, et faisant Dieu tous les matins pour quelques sous, tous étrangers, tous à charge à leur patrie, et tous sujets de Rome.

  1. Voyez tome XIV, page 165.