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DIATRIBES DE L’ABBÉ BAZIN.

ce pays fut conquis par des Éthiopiens : je n’ai pas de peine à le croire, car j’ai déjà remarqué[1] que quiconque s’est présenté pour conquérir l’Égypte en est venu à bout en une campagne ; excepté nos extravagants croisés, qui y furent tous tués ou réduits en captivité, parce qu’ils avaient à faire, non aux Égyptiens, qui n’ont jamais su se battre, mais aux mameluks, vainqueurs de l’Égypte, et meilleurs soldats que les croisés. Je n’ai donc nulle répugnance à croire qu’un roi d’Égypte, nommé par les Grecs Amasis, cruel et efféminé, fût vaincu, lui et ses ridicules prêtres, par un chef éthiopien nommé Actisan, qui avait apparemment de l’esprit et du courage.

Les Égyptiens étaient de grands voleurs ; tout le monde en convient. Il est fort naturel que le nombre des voleurs ait augmenté dans le temps de la guerre d’Actisan et d’Amasis. Diodore rapporte, d’après les historiens du pays, que le vainqueur voulut purger l’Égypte de ces brigands, et qu’il les envoya vers les déserts de Sinaï et d’Oreb, après leur avoir préalablement fait couper le bout du nez afin qu’on les reconnût aisément s’ils s’avisaient de venir encore voler en Égypte. Tout cela est très-probable.

Diodore remarque avec raison que le pays où on les envoya ne fournit aucune des commodités de la vie, et qu’il est très-difficile d’y trouver de l’eau et de la nourriture. Telle est en effet cette malheureuse contrée depuis le désert de Pharam jusqu’auprès d’Éber.

Les nez coupés purent se procurer, à force de soins, quelques eaux de citerne, ou se servir de quelques puits qui fournissaient de l’eau saumâtre et malsaine, laquelle donne communément une espèce de scorbut et de lèpre. Ils purent encore, ainsi que le dit Diodore, se faire des filets avec lesquels ils prirent des cailles. On remarque, en effet, que tous les ans des troupes innombrables de cailles passent au-dessus de la mer Rouge, et viennent dans ce désert. Jusque-là cette histoire n’a rien qui révolte l’esprit, rien qui ne soit vraisemblable.

Mais, si on veut en inférer que ces nez coupés sont les pères des Juifs, et que leurs enfants, accoutumés au brigandage, s’avancèrent peu à peu dans la Palestine et en conquirent une partie, c’est ce qui n’est pas permis à des chrétiens. Je sais que c’est le sentiment du consul Maillet, du savant Fréret, de Boulanger, des Herbert, des Bolingbroke, des Toland. Mais quoique leur

  1. Tome XVII, page 286 ; XXV, 51.