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DIATRIBES DE L’ABBÉ BAZIN.

bal, disent nos critiques, est vraisemblablement Gédéon. Mais pourquoi, s’il vous plaît, ce Jérombal était-il Gédéon ? Il n’est point dit que Gédéon fût prêtre. Si le Phénicien avait consulté le Juif, il aurait parlé de Moïse, et des conquêtes de Josué. Il n’aurait pas admis une cosmogonie absolument contraire à la Genèse : il aurait parlé d’Adam ; il n’aurait pas imaginé des générations entièrement différentes de celles que la Genèse a consacrées.

Cet ancien auteur phénicien avoue en propres mots qu’il a tiré une partie de son histoire des écrits de Thaut, qui florissait huit cents ans avant lui. Cet aveu, auquel on ne fait pas assez d’attention, est un des plus curieux témoignages que l’antiquité nous ait transmis. Il prouve qu’il y avait donc déjà huit cents ans qu’on avait des livres écrits avec le secours de l’alphabet ; que les nations cultivées pouvaient par ce secours s’entendre les unes les autres, et traduire réciproquement leurs ouvrages. Sanchoniathon entendait les livres de Thaut, écrits en langue égyptienne. Le premier Zoroastre était beaucoup plus ancien, et ses livres étaient la catéchèse des Persans. Les Chaldéens, les Syriens, les Persans, les Phéniciens, les Égyptiens, les Indiens, devaient nécessairement avoir commerce ensemble ; et l’écriture alphabétique devait faciliter ce commerce. Je ne parle pas des Chinois, qui étaient depuis longtemps un grand peuple, et composaient un monde séparé.

Chacun de ces peuples avait déjà son histoire. Lorsque les Juifs entrèrent dans le pays voisin de la Phénicie, ils pénétrèrent jusqu’à la ville de Dabir, qui s’appelait autrefois la ville des lettres. « Alors Caleb dit : Je donnerai ma fille Axa pour femme à celui qui prendra Eta et qui ruinera la ville des lettres. Et Othoniel, fils de Cenès, frère puîné de Caleb, l’ayant prise, il lui donna pour femme sa fille Axa. »

Il paraît par ce passage que Caleb n’aimait pas les gens de lettres ; mais, si on cultivait les sciences anciennement dans cette petite ville de Dabir, combien devaient-elles être en honneur dans la Phénicie, dans Sidon et dans Tyr, qui étaient appelés le pays des livres, le pays des archives, et qui enseignèrent leur alphabet aux Grecs !

Ce qui est fort étrange, c’est que Sanchoniathon, qui commence son histoire au même temps où commence la Genèse, et qui compte le même nombre de générations, ne fait pas cependant plus de mention du déluge que les Chinois. Comment la Phénicie, ce pays si renommé par ses expéditions maritimes, ignorait-elle ce grand événement ?