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et je n’ai point dit : Ces anneaux, ces espèces d’or et d’argent, ont été fabriqués ici. Je n’ai point dit non plus : Ces huîtres sont nées ici. J’ai dit : Des voyageurs ont apporté ici des anneaux, de l’argent, et des huîtres.

« Quand je lus, il y a quarante ans, qu’on avait trouvé dans les Alpes des coquilles de Syrie, je dis, je l’avoue, d’un ton un peu goguenard, que ces coquilles avaient été apparemment apportées par des pèlerins[1] qui revenaient de Jérusalem. M. de Buffon m’en reprit très-vertement dans sa Théorie de la Terre, page 281. Je n’ai pas voulu me brouiller avec lui pour des coquilles ; mais je suis demeuré dans mon opinion, parce que l’impossibilité que la mer ait formé les montagnes m’est démontrée. On a beau me dire que le porphyre est fait de pointes d’oursin, je le croirai quand je verrai que le marbre blanc est fait de plumes d’autruche.

« Il y a plusieurs années qu’un Irlandais, jésuite secret, nommé Needham[2], qui disait avoir d’excellents microscopes, crut s’apercevoir qu’il avait fait naître des anguilles avec de l’infusion de blé ergoté dans des bouteilles. Aussitôt voilà des philosophes qui se persuadent que si un jésuite a fait des anguilles sans germe, on pourra faire de même des hommes. On n’a plus besoin de la main du grand Demiourgos ; le maître de la nature n’est plus bon à rien. De la farine grossière produit des anguilles ; une farine plus pure produira des singes, des hommes et des ânes. Les germes sont inutiles : tout naîtra de soi-même. On bâtit sur cette expérience prétendue un nouvel univers, comme nous[3] faisions un monde, il y a cent ans, avec la matière subtile, la globuleuse et la cannelée. Un mauvais plaisant, mais qui raisonnait bien, dit qu’il y avait là anguille sous roche, et que la fausseté se découvrirait bientôt. En effet, il fut constaté que les anguilles n’étaient autre chose que des parties de la farine corrompue qui fermentait, et le nouvel univers disparut.

« Il en avait été de même autrefois. Les vers se formaient par corruption dans la viande exposée à l’air. Les philosophes ne soupçonnaient pas que ces vers pouvaient venir des mouches qui déposaient leurs œufs sur cette viande, et que ces œufs deviennent

  1. Voyez tome XXIII, page 222 ; mais il n’y a que vingt et un (et non quarante) ans d’intervalle entre la Dissertation sur les changements arrivés dans notre globle, et la Défense de mon oncle.
  2. Voyez tome XVIII, page 372 ; et l’ouvrage Des Singularités de la nature, chap. xx.
  3. Descartes.