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CHAPITRE XVIII.

entre deux races forme assurément deux races différentes. Cela n’a nul rapport aux atomes blancs et rouges d’Anaxagore, qui vivait environ deux mille trois cents ans avant mon oncle.

Il vit non-seulement des nègres et des albinos, qu’il examina très-soigneusement, mais il vit aussi quatre rouges qui vinrent en France en 1725. Le même économe lui a nié ces rouges. Il prétend que les habitants des îles Caraïbes ne sont rouges que lorsqu’ils sont peints. On voit bien que cet homme-là n’a pas voyagé en Amérique. Je ne dirai pas que mon oncle y ait été, car je suis vrai ; mais voici une lettre que je viens de recevoir d’un homme qui a résidé longtemps à la Guadeloupe, en qualité d’officier du roi :

« Il y a réellement à la Guadeloupe, dans un quartier de la grande terre nommée le Pistolet, dépendant de la paroisse de l’anse Bertrand, cinq ou six familles de Caraïbes dont la peau est de la couleur de notre cuivre rouge ; ils sont bien faits, et ont de longs cheveux. Je les ai vus deux fois. Ils se gouvernent par leurs propres lois, et ne sont point chrétiens. Tous les Caraïbes sont rougeâtres, etc. Signé : Rieu, 20 mai 1767. »

Le jésuite Lafitau, qui avait vécu aussi chez les Caraïbes, convient que ces peuples sont rouges[1] ; mais il attribue, en homme judicieux, cette couleur à la passion qu’ont eue leurs mères de se peindre en rouge, comme il attribue la couleur des nègres au goût que les dames de Congo et d’Angola ont eu de se peindre en noir. Voici les paroles remarquables du jésuite :

« Ce goût général dans toute la nation, et la vue continuelle de semblables objets, ont dû faire impression sur les femmes enceintes, comme les baguettes de diverses couleurs sur les brebis de Jacob[2] : et c’est ce qui doit avoir contribué en premier lieu à rendre les uns noirs par nature, et les autres rougeâtres, tels qu’ils le sont aujourd’hui. »

Ajoutez à cette belle raison que le jésuite Lafitau prétend que les Caraïbes descendent en droite ligne des peuples de Carie : vous m’avouerez que c’est puissamment raisonner, comme dit l’abbé Grizel[3].

  1. Mœurs des sauvages, page 68, tome I. (Note de Voltaire.)
  2. Genèse, xxx, 39.
  3. Voyez tome XXIV, page 243.