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À M. HUME.


parlé du moindre dessein contre le sieur Rousseau, je consentais qu’on le regardât comme un scélérat, et moi aussi, et que je détestais trop les persécuteurs pour l’être.

Le conseil me répondit, par un secrétaire d’État, que je n’avais jamais eu, ni dû avoir, ni pu avoir la moindre part, ni directement, ni indirectement, à la condamnation du sieur Jean-Jacques.

Les deux lettres sont dans les archives du conseil de Genève.

Cependant M. Rousseau, retiré dans les délicieuses vallées de Moutiers-Travers, ou Motiers-Travers, au comté de Neufchâtel, n’ayant pas eu, depuis un grand nombre d’années, le plaisir de communier sous les deux espèces, demanda instamment au prédicant de Moutiers-Travers, homme d’un esprit fin et délicat, la consolation d’être admis à la sainte table ; il lui dit[1] que son intention était : 1° de combattre l’Église romaine ;de s’élever contre l’ouvrage infernal de l’Esprit, qui établit évidemment le matérialisme ;de foudroyer les nouveaux philosophes vains et présomptueux. Il écrivit et signa cette déclaration, et elle est encore entre les mains de M. de Montmolin, prédicant de Moutiers-Travers et de Boveresse.

Dès qu’il eut communié, il se sentit le cœur dilaté, il s’attendrit jusqu’aux larmes. Il le dit au moins dans sa lettre[2] du 8 d’auguste 1765.

Il se brouilla bientôt avec le prédicant et les prêches de Moutiers-Travers et de Boveresse. Les petits garçons et les petites filles lui jetèrent des pierres ; il s’enfuit sur les terres de Berne ; et, ne voulant plus être lapidé, il supplia Messieurs de Berne de vouloir bien avoir la bonté de le faire enfermer le reste de ses jours dans quelqu’un de leurs châteaux, ou tel autre lieu de leur État qu’il leur semblerait bon de choisir. Sa lettre[3] est du 20 octobre 1765.

Depuis Mme  la comtesse de Pimbesche, à qui l’on conseillait de se faire lier[4], je ne crois pas qu’il soit venu dans l’esprit de personne de faire une pareille requête. Messieurs de Berne aimèrent mieux le chasser que de se charger de son logement.

Le judicieux Jean-Jacques ne manqua pas de conclure que c’était moi qui le privais de la douce consolation d’être dans une prison perpétuelle, et que même j’avais tant de crédit chez les prêtres que je le faisais excommunier par les chrétiens de Moutiers-Travers et de Boveresse.

Ne pensez pas que je plaisante, monsieur. Il écrit, dans une

  1. Voyez la lettre à Thieriot du 30 auguste 1765.
  2. À du Peyrou.
  3. À M. de G.
  4. Les Plaideurs, acte I, scène VII.