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352 HOMÉLIE SUR L'INTERPRÉTATION

marchaient une mitre d'or en tête, entourés de soldats; s'ils ravis- saient la substance des peuples; s'ils voulaient commander aux rois; si leurs satellites, suivis de bourreaux, criaient à haute voix : Nations imbéciles, croyez à Fox et à Penn, ou vous allez expirer dans les supplices?

Vous savez mieux que moi quel funeste contraste tous les siècles ont vu entre l'humilité de Jésus et l'orgueil de ceux qui se sont parés de son nom; entre leur avarice et sa pauvreté; entre leurs débauches et sa chasteté;. entre sa soumission et leur san- guinaire tyrannie.

De toutes ses paroles, mes frères, j'avoue que rien ne m'a plus fait d'impression que ce qu'il répondit à ceux qui eurent la brutalité de le frapper avant qu'on le conduisît au supplice: « Si j'ai mal dit^, rendez témoignage du mal; et si j'ai bien dit, pour- quoi me frappez-vous? » Voilà ce qu'on a dû dire à tous les per- sécuteurs. Si j'ai une opinion différente de la vôtre sur des choses qu'il est impossible d'entendre; si je vois la miséricorde de Dieu là où vous ne voulez voir que sa puissance; si j'ai dit que tous les disciples de Jésus étaient égaux, quand vous avez cru les devoir fouler à vos pieds; si je n'ai adoré que Dieu seul, quand vous lui avez donné des associés; enfin, si j'ai mal dit en n'étant pas de votre avis, rendez témoignage du mal; et si j'ai bien dit, pour- quoi m'accablez-vous d'injures et d'opprobres ? pourquoi me pour- suivez-vous, me jetez-vous dans les fers, me livrez-vous aux tor- tures, aux flammes, m'insultez-vous encore après ma mort? Hélas ! si j'avais mal dit, vous ne deviez que me plaindre et m'instruire. Vous êtes sûrs que vous êtes infaillibles; que votre opinion est 'divine; que les portes de l'enfer- ne pourront jamais prévaloir contre elle; que toute la terre embrassera un jour votre opinion; que le monde vous sera soumis; que vous régnerez du mont Atlas aux îles du Japon : en quoi mon opinion peut-elle donc vous nuire? Vous ne me craignez pas, et vous me persécutez! vous me méprisez, et vous me faites périr!

Que répondre, mes frères, à ces modestes et puissants repro- ches ? ce que répond le loup à l'agneau ^ : « Tu as troublé l'eau que je bois. » C'est ainsi que les hommes se sont traités les uns les autres, l'Évangile et le fer à la main ; prêchant le désintéres- sement, et accumulant des trésors ; annonçant l'humilité, et mar-

��1. Jean, xviii, 23.

2. Matthieu, xvi, 18.

3. Voyez La Fontaine, livre I, fable x.

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