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SUR LA SUPERSTITION. 333

Il est bien aisé de leur faire voir ce qu'ils ont souffert pendant quinze cents années. Peu de personnes lisent ; mais toutes peu- vent entendre. Écoutez donc, mes cliers frères, et voyez les cala- mités qui accablèrent les générations passées.

A peine les chrétiens, respirant en liberté sous Constantin, avaient trempé leurs mains dans le sang de la vertueuse Valérie, fille, femme, et mère de césars, et dans le sang du jeune Candi- dien son fils, l'espérance de l'empire; à peine avaient-ils ^égorgé le fils de l'empereur Maximin, âgé de huit ans, et sa fille, âgée de sept ; à peine ces hommes qu'on nous peint si patients pendant deux siècles avaient ainsi signalé leurs fureurs au commen- cement du quatrième, que la controverse fit naître des discordes civiles qui, se succédant les unes aux autres sans aucun moment de relâche, agitent encore l'Europe. Quels sont les sujets de ces querelles sanguinaires? Des subtilités, mes frères, dont on ne trouve pas le moindre mot dans l'Évangile. On veut savoir si le Fils est engendré, ou fait; s'il est engendré dans le temps, ou avant le temps ; s'il est consubstantiel ou semblable au Père ; si la monade de Dieu, comme dit Athanase, est trine - en trois hypo- stases ; si le Saint-Esprit est engendré, ou procédant, ou s'il pro- cède du Père seul, ou du Père et daFils; si Jésus eut deux volontés ou une, une ou deux natures, une ou deux personnes.

Enfin, depuis la consubstantialité jusqu'à la transsubstantiation, termes aussi difficiles à prononcer qu'à comprendre, tout a été sujet de dispute, et toute dispute a fait couler des torrents de sang.

Vous savez combien en fit verser notre superstitieuse Marie, fille du tyran Henri VIII, et digne épouse du tyran espagnol Philippe II. Le trône de Charles I" fut changé en échafaud, et ce roi périt par le dernier supplice, après que plus de deux cent mille hommes eurent été égorgés pour une liturgie.

Vous connaissez les guerres civiles de France. Une troupe de théologiens fanatiques, appelée la Sorbonne, déclare le roi Henri III déchu du trône, et soudain un apprenti théologien l'assassine ^ Elle déclare le grand Henri IV, notre allié, incapable de régner, et vingt meurtriers se succèdent les uns aux autres, jusqu'à ce qu'enfin, sur la seule nouvelle que ce héros va protéger ses anciens alliés contre les adhérents du pape, un moine feuillant*,

1. En 313 {Note de Voltaire.)

2. Du mot latio trinus, triple.

3. Jacques Clément} voyez tome Mil, l'Essai sur les Guerres civiles de France.

4. Ravaillac; voyez ibid.

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