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SUR LA SUPERSTITION. 331

le système des anciens on a regardé l'âme humaine comme une portion finie de l'intelligence infinie, qui se replonge dans le grand tout sans l'augmenter; si on suppose que Dieu habita dans l'âme de Marc-Aurèle, si cette âme fut supérieure aux autres par la vertu pendant sa vie, pourquoi ne pas supposer qu'elle est en- core supérieure quand elle est dégagée de son corps mortel ?

Nos frères les catholiques romains ( car tous les hommes sont nos frères) ont peuplé le ciel de demi-dieux qu'ils appellent saints. S'ils avaient toujours fait d'heureux choix, avouons sans détour que leur erreur eût été un service rendu à la nature humaine. Nous leur prodiguons les injures et le mépris quand ils fêtent un Ignace, chevalier de la Vierge ; un Dominique, per- sécuteur ; un François, fanatique en démence, qui marche tout nu, qui parle aux hêtes, qui catéchise un loup, qui se fait une femme de neige. Nous ne pardonnons pas à Jérôme, traducteur, savant, mais fautif, de livres juifs, d'avoir, dans son Histoire des Pères du désert, exigé nos respects pour un saint Pacôme qui allait faire ses visites monté sur un crocodile. Nous sommes surtout saisis d'indignation en voyant qu'à Rome on a canonisé Gré- goire VII, l'incendiaire de l'Europe.

Mais il n'en est pas ainsi du culte qu'on rend, en France, au roi Louis IX, qui fut juste et courageux. Et si c'est trop que de l'invoquer, ce n'est pas trop de le révérer; c'est seulement dire aux autres princes : Imitez ses vertus.

Je vais plus loin : je suppose qu'on ait placé dans une basi- lique la statue du roi Henri IV, qui conquit son royaume avec la valeur d'Alexandre et la cléftience de Titus, qui fut bon et com- patissant, qui sut choisir les meilleurs ministres, et fut son pre- mier ministre lui-même ; je suppose que, malgré ses faiblesses, on lui paye des hommages au-dessus des respects qu'on rend à la mémoire des grands hommes, quel mal pourra-t-il en résulter? Il vaudrait certainement mieux fléchir le genou devant lui que devant cette multitude de saints inconnus, dont les noms même sont devenus un sujet d'opprobre et de ridicule. Ce serait une superstition, j'en conviens, mais une superstition qui ne pourrait nuire, un enthousiasme patriotique, et non un fanatisme perni- cieux. Si l'homme est né pour l'erreur, souhaitons-lui des erreurs vertueuses.

La superstition qu'il faut bannir de la terre est celle qui, fai- sant de Dieu un tyran, invite les hommes à être tyrans. Celui qui dit le premier qu'on doit avoir les réprouvés en horreur mit le poignard à la main de tous ceux qui osèrent se croire fidèles ;

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