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328 HOMÉLIE SUR L'ATHÉISME.

La secte d'Épicure a produit de très-honnêtes gens : Épicure était lui-même un homme de hien, je l'avoue. L'instinct de la vertu, qui consiste dans un tempérament doux et éloigné de toute vio- lence, peut très-bien subsister avec une philosophie erronée. Les épicuriens et les plus fameux athées de nos jours, occupés des agréments de la société, de l'étude et du soin de posséder leur âme en paix, ont fortifié cet instinct qui les porte à ne jamais nuire, en renonçant au tumulte des affaires qui bouleversent l'âme, et à l'ambition qui la pervertit. Il y a des lois dans la société qui sont plus rigoureusement observées que celles de l'État et de la religion. Quiconque a payé les services de ses amis par une noire ingratitude, quiconque a calomnié un lionnête homme, quiconque aura mis dans sa conduite une indécence révoltante, ou qui sera connu par une avarice sordide et impitoyable, ne sera point puni par les lois, mais il le sera par la société des honnêtes gens, qui porteront contre lui un arrêt irrévocable de bannissement; il ne sera jamais reçu parmi eux. Ainsi donc un athée de mœurs douces et agréables, retenu d'ailleurs par le frein que la société des hommes impose, peut très-bien mener une vie innocente, heureuse, honorée. On en a vu des exemples de siècle en siècle, depuis le célèbre Atticus, également âmi de César et de Cicéron, jusqu'au fameux magistrat Des Barreaux*, qui, ayant fait attendre trop longtemps un plaideur dont il rapportait le procès, lui paya de son argent la somme dont il s'agissait.

On me citera encore, si l'on veut, le sophiste géométrique -Spinosa, dont la modération, le désintéressement et la générosité, ont été dignes d'Épictète. On me dira que le célèbre athée La Métrie était un homme doux et aimable dans la société, honoré, pendant sa vie et après sa mort, des bontés d'un grand roi^ qui, sans faire attention à ses sentiments philosophiques, a récom- pensé en lui les vertus. Mais mettez ces doux et tranquilles athées dans de grandes places; jetez-les dans les factions; qu'ils aient à com])attre un César Borgia, ou un Cromwell, pu même un car- dinal de Betz ; pensez-vous qu'alors ils ne deviendront pas aussi méchants que leurs adversaires? Voyez dans quelle alternative vous les jetez ; ils seront des imbéciles s'ils ne sont pas des per- vers. Leurs ennemis les attaquent par des crimes ; il faut bien

1. Voyez tome XIV, page G3; et, ci-après, la VIP des Lettres à S. A. monsei- gneur le.prince de ***.

2, Frédéric II, roi de Prusse; on a de ce monarque un Éloge du sieur La Mé- trie, dans les Éloges de trois philosophes, 1753, in-S».

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