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le Grand, quoiqu’il soit un saint, était un pape illustre, parce qu’il était bête et intrigant ? J’ai vu constamment dans l’histoire que la bêtise et l’ignorance n’ont jamais fait de bien, mais au contraire toujours beaucoup de mal. Grégoire même bénit et loua les crimes de Phocas, qui avait assassiné et détrôné son maître, l’infortuné Maurice. Il bénit et loua les crimes de Brunehaut, qui est la honte de l’histoire de France. Si les arts et les sciences n’ont pas absolument rendu les hommes meilleurs, du moins ils sont méchants avec plus de discrétion ; et quand ils font le mal, ils cherchent des prétextes, ils temporisent, ils se contiennent : on peut les prévenir, et les grands crimes sont rares. Il y a dix siècles, vous auriez été non-seulement excommunié avec les chenilles, les sauterelles et les sorciers, mais brûlé ou pendu, ainsi que quantité d’honnêtes gens qui cultivent aujourd’hui les lettres en paix, et avouez que le temps présent vaut mieux. C’est à la philosophie que vous devez votre salut, et vous l’assassinez : mettez-vous à genoux, ingrat, et pleurez sur votre folie. Nous ne sommes plus esclaves de ces tyrans spirituels et temporels qui désolaient toute l’Europe ; la vie est plus douce, les mœurs plus humaines, et les États plus tranquilles.

Vous parlez, docteur Pansophe, de la vertu des sauvages : il me semble pourtant qu’ils sont magis extra vitia quam cum virtutibus. Leur vertu est négative, elle consiste à n’avoir ni bons cuisiniers, ni bons musiciens, ni beaux meubles, ni luxe, etc. La vertu, voyez-vous, suppose des lumières, des réflexions, de la philosophie, quoique, selon vous, tout homme qui réfléchit soit un animal dépravé ; d’où il s’ensuivrait en bonne logique que la vertu est impossible. Un ignorant, un sot complet n’est pas plus susceptible de vertu qu’un cheval ou qu’un singe ; vous n’avez certes jamais vu cheval vertueux, ni singe vertueux. Quoique maître Aliboron tienne que votre prose est une prose brûlante, le public se plaint que vous n’avez jamais fait un bon syllogisme. Écoutez, docteur Pansophe : la bonne Xantippe grondait sans cesse, et vigoureusement, contre la philosophie et la raison de Socrate ; mais la bonne Xantippe était une folle, comme tout le monde sait. Corrigez-vous.

Illustre Pansophe ! la rage de blâmer vos contemporains vous fait louer à leurs dépens des sauvages anciens et modernes sur des choses qui ne sont point du tout louables.

Pourquoi, s’il vous plaît, faites-vous dire à Fabricius que le seul talent digne de Rome est de conquérir la terre, puisque les conquêtes des Romains, et les conquêtes en général, sont des