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DES CHRÉTIENS JUSQU’À THÉODOSE.


quillité. Valentinien apprit à tous ceux qui sont nés pour gouverner que si deux sectes déchirent un État, trente sectes tolérées laissent l’État en repos.

Théodose ne pensa pas ainsi, et fut sur le point de tout perdre : il fut le premier qui prit parti pour les athanasiens, et il fit renaître la discorde par son intolérance. Il persécuta les païens et les aliéna. Il se crut alors obligé de donner lâchement des provinces entières aux Goths, sur la rive droite du Danube ; et par cette malheureuse précaution, prise contre ses peuples, il prépara la chute de l’empire romain.

Les évêques, à l’imitation de l’empereur, s’abandonnèrent à la fureur de la persécution. Il y avait un tyran qui, ayant détrôné et assassiné un collègue de Théodose, nommé Gratien, s’était rendu maître de l’Angleterre, des Gaules et de l’Espagne. Je ne sais quel Priscillien en Espagne, ayant dogmatisé comme tant d’autres, et ayant dit que les âmes étaient des émanations de Dieu, quelques évêques espagnols, qui ne savaient pas plus que Priscillien d’où venaient les âmes, le déférèrent, lui et ses principaux sectateurs, au tyran Maxime. Ce monstre, pour faire sa cour aux évêques, dont il avait besoin pour se maintenir dans son usurpation, fit condamner à mort Priscillien et sept de ses partisans. Un évêque, nommé Itace[1], fut assez barbare pour leur faire donner la question en sa présence. Le peuple, toujours sot et toujours cruel quand on lâche la bride à sa superstition, assomma, dans Bordeaux, à coups de pierres, une femme de qualité qu’on disait être priscillianiste.

Ce jugement de Priscillien est plus avéré que celui de tous les martyrs, dont les chrétiens avaient fait tant de bruit sous les premiers empereurs. Les malheureux croyaient plaire à Dieu en se souillant des crimes dont ils s’étaient plaints. Les chrétiens, depuis ce temps, furent comme des chiens qu’on avait mis en curée : ils furent avides de carnage, non pas en défendant l’empire, qu’ils laissèrent envahir par vingt nations barbares, mais en persécutant tantôt les sectateurs de l’antique religion romaine, et tantôt leurs frères qui ne pensaient pas comme eux.

Y a-t-il rien de plus horrible et de plus lâche que l’action des prêtres de l’évêque Cyrille, que les chrétiens appellent saint Cyrille ? Il y avait dans Alexandrie une fille célèbre par sa beauté et par son esprit ; son nom était Hypatie[2]. Élevée par le philo-

  1. Voyez tome XV, page 497 ; XXV, 542.
  2. Voyez tome XIX, page 393.