Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
CONSIDÉRATIONS SUR JULIEN.


qué[1], recommander à l’homme de se nourrir de ce fruit nécessaire. La distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste, était le lait dont Dieu devait nourrir des créatures sorties de ses mains. Il aurait mieux valu leur crever les deux yeux que leur boucher l’entendement.

Si le rédacteur de ce roman asiatique de la Genèse avait eu la moindre étincelle d’esprit, il aurait supposé deux arbres dans le paradis : les fruits de l’un nourrissaient l’âme, et faisaient connaître et aimer la justice ; les fruits de l’autre enflammaient le cœur de passions funestes. L’homme négligea l’arbre de la science, et s’attacha à celui de la cupidité.

Voilà du moins une allégorie juste, une image sensible du fréquent abus que les hommes font de leur raison. Je m’étonne que Julien ne l’ait pas proposée ; mais il dédaignait trop ce livre pour descendre à le corriger.

C’est avec très-grande raison que Julien méprise ce fameux Décalogue que les Juifs regardaient comme un code divin : c’était, en effet, une plaisante législation, en comparaison des lois romaines, de défendre le vol, l’adultère et l’homicide. Chez quel peuple barbare la nature n’a-t-elle pas dicté ces lois avec beaucoup plus d’étendue ? Quelle pitié de faire descendre Dieu au milieu des éclairs et des tonnerres, sur une petite montagne pelée, pour enseigner qu’il ne faut pas être voleur ! encore peut-on dire que ce n’était pas à ce Dieu qui avait ordonné aux Juifs de voler les Égyptiens, et qui leur proposait l’usure avec les étrangers comme leur plus digne récompense, et qui avait récompensé le voleur Jacob ; que ce n’était pas, dis-je, à ce Dieu, de défendre le larcin.

C’est avec beaucoup de sagacité que ce digne empereur détruit les prétendues prophéties juives, sur lesquelles les christicoles appuyaient leurs rêveries, et la verge de Juda qui ne manquerait point entre les jambes, et la fille ou la femme qui fera un enfant, et surtout ces paroles attribuées à Moïse[2], lesquelles regardent Josué, et qu’on applique si mal à propos à Jésus : « Dieu vous suscitera un prophète semblable à moi. » Certainement un prophète semblable à Moïse ne veut pas dire Dieu et fils de Dieu. Rien n’est si palpable, rien n’est si fort à la portée des esprits les plus grossiers.

  1. Tome XI, page 29, à la note ; tome XXV, page 134 ; et, dans le présent volume, page 175.
  2. Deutéronome, XVIII, 18.