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CHAPITRE XXXII.


César, et comme ils firent souvent depuis, jusqu’à ce qu’enfin ils les envahirent, et que la seule petite nation des Francs subjugua sans peine toutes ces provinces.

Julien forma des troupes, les disciplina, s’en fit aimer ; il les conduisit jusqu’à Strasbourg, passa le Rhin sur un pont de bateaux, et, à la tête d’une armée très-faible en nombre, mais animée de son courage, il défit une multitude prodigieuse de barbares, prit leur chef prisonnier, les poursuivit jusqu’à la forêt Hercynienne, se fit rendre tous les captifs romains et gaulois, toutes les dépouilles qu’avaient prises les barbares, et leur imposa des tributs.

À cette conduite de César il joignit les vertus de Titus et de Trajan, faisant venir de tous côtés du blé pour nourrir des peuples dans des campagnes dévastées, faisant défricher ces campagnes, rebâtissant les villes, encourageant la population, les arts et les talents par des priviléges, s’oubliant lui-même, et travaillant jour et nuit au bonheur des hommes.

Constantius, pour récompense, voulut lui ôter les Gaules, où il était trop aimé ; il lui demanda d’abord deux légions que lui-même avait formées. L’armée, indignée, s’y opposa : elle proclama Julien empereur malgré lui. La terre fut alors délivrée de Constantius, lorsqu’il allait marcher contre les Perses.

Julien le stoïcien, si sottement nommé l’Apostat par des prêtres, fut reconnu unanimement empereur par tous les peuples de l’Orient et de l’Occident.

La force de la vérité est telle que les historiens chrétiens sont obligés d’avouer qu’il vécut sur le trône comme il avait fait dans les Gaules. Jamais sa philosophie ne se démentit. Il commença par réformer dans le palais de Constantinople le luxe de Constantin et de Constantius. Les empereurs, à leur couronnement, recevaient de pesantes couronnes d’or de toutes les villes ; il réduisit presque à rien ces présents onéreux. La frugale simplicité du philosophe n’ôta rien à la majesté et à la justice du souverain. Tous les abus et tous les brigandages de. la cour furent réformés ; mais il n’y eut que deux concussionnaires publics d’exécutés à mort.

Il renonça, il est vrai, à son baptême ; mais il ne renonça jamais à la vertu. On lui reproche de la superstition : donc au moins, par ce reproche, on avoue qu’il avait de la religion. Pourquoi n’aurait-il pas choisi celle de l’empire romain ? pourquoi aurait-il été coupable de se conformer à celle des Scipion et des César plutôt qu’à celle des Grégoire de Nazianze et des Théo-